Parmi les objections faites à la Monarchie, revient souvent l'idée que, du fait du mode de succession héréditaire, le nouveau monarque peut être un parfait imbécile: "le talent n'est pas héréditaire", me rappelle un de mes contradicteurs. "La République, au contraire, assure une diversité de choix; le choix, c'est la liberté". Ces arguments me donnent l'occasion de rappeler, à mon tour, quelques éléments importants sur ce thème de la désignation du Chef de l'Etat.
La Monarchie française est héréditaire et successible: cela signifie qu'elle n'est pas esclave des élections et de ceux qui les font, c'est-à-dire non pas vraiment les électeurs (qui, en définitive, départagent des candidats déjà choisis pour cette "reine des élections" qu'est la présidentielle), mais bien plutôt les partis et les puissances d'argent, qui sont les premiers "sélectionneurs", au risque de désespérer les électeurs eux-mêmes qui ne se retrouvent pas dans les candidats proposés (d'où une abstention qui augmente...). Dans l'élection présidentielle, et on l'a bien vu en 2002, le choix, surtout quand les médias considèrent qu'on ne l'a plus..., ce n'est plus vraiment une décision positive mais une décision négative, de crainte ou de dépit: on vote "contre", au risque de voter en même temps (et là, il n'y a pas le choix!) pour quelqu'un que l'on déteste et que l'on a combattu farouchement quelques jours auparavant, et qui se moque bien de vos scrupules... Formidable jeu de dupes, qui laisse souvent un goût amer.
La Monarchie, par son principe même, c'est la transmission de la magistrature suprême par le biais le plus simple, le plus naturel, car filial, du père au fils,par la disparition de l'un et l'"apparition" immédiate de l'autre. "Le roi est mort, vive le roi !" et son complément théorique "le roi de France ne meurt jamais" sont les deux formules qui caractérisent le mieux cette "passation de sceptre" qui, si elle voit la mort physique d'un monarque, voit aussi dans le même temps la pérennité de sa fonction et de l'Etat immédiatement assurée par son successeur.
Ainsi, le roi ne doit son pouvoir qu'à la naissance et au deuil: il n'a pas choisi de naître héritier de roi, "roi en devenir", comme il n'a rien choisi de ce (et de ceux) qui le précéde. Mais cela lui assure une indépendance de fait, sans l'intervention des partis et au-delà de leur propre sphère d'activité et d'influence. En même temps, il n'est pas identifiable à un groupe économique ou social ou, même, communautaire. En ces temps de communautarismes parfois agressifs, l'indépendance de naissance du souverain, le fait qu'il appartienne à toute la nation, aux "peuples de France" selon l'expression consacrée, est le meilleur moyen qu'il soit, non un point de friction, mais un trait d'union. Le fait qu'il échappe au "choix" est le meilleur moyen qu'il puisse garantir les libertés de chacun et l'unité du pays, n'étant l'élu de personne.
Certes, il n'est peut-être pas le plus intelligent, mais son indépendance statutaire lui permet de choisir les meilleures compétences pour gouverner le pays : souvenons-nous qu'il n'y a pas de Richelieu possible sans un Louis XIII qui l'appelle et le soutient, y compris contre la Cour et certains membres de la famille royale. Louis XIII n'est pas un roi très doué mais sa position lui a permis de choisir Richelieu, non en fonction de sa popularité ou de ses soutiens, mais en raison de ses qualités propres. L'histoire de la Monarchie compte ainsi de nombreux grands serviteurs et commis de l'Etat qui suppléent aux insuffisances des monarques. Bien sûr, il y eut des erreurs et des égarements mais, tout compte fait, le bilan de l'ancienne Monarchie est plutôt positif comme en conviennent les historiens contemporains. La nouvelle Monarchie à fonder n'en aura que plus de devoirs...
Que le système républicain n'ait pas réussit à bannir du mode de désignation du président une pré selection, c'est un fait. L'argent a joué un rôle dans la préselection; le talent des pré selectionnés pour la politique politicienne (sens péjoratif bien sûr); la chance en sont d'autres facteurs. Aussi bien que le talent tout court. Des Le Pen arrivent au second tour... La république n'est pas un système idéal: l'idéal n'existe pas concretement.
Cependant, la pluralité, la possibilité pour la population de choisir au moins en partie (même si on admet que l'argent joue un rôle, il ne fait pas tout... il reste donc au moins un soupçon de choix) en fait pour moi un mode de désignation bien supérieur à l'hériédité, subie par tous.
La première victime de l'hérédité est, vous l'avez souligné, le futur monarque lui même. Sur ce point, 2 remarques: "rien de grand en ce monde n'a été entreprit sans passion" (citation approximative, dsl), c'est une évidence pour tout le monde. Un homme qui doit accomplir une tache pour laquelle il n'a aucun gout sera infiniement moins apte que celui qui VEUT l'accomplir. Louis XVI n'avait aucune envie d'être monarque. De plus, la possibilité d'être le dirigeant officiel et de pourtant déléguer ses pouvoirs à un individu que l'on juge mieux qualifié que nous n'est pas l'apanage de la monarchie, je ne vois pas ce qui concretement empeche un président de faire de même si ça l'amuse (bien entendu, cela sera simplement un peu plus officieux que dans une monarchie, mais rien ne change). J'ajouterais à cela qu'il faut pour choisir un bon "serviteur de la france" au moins des capacités de jugement dignes de ce nom; capacités qu'un monarque déjà incapable de gouverner peut fort bien ne pas posseder. Richelieu a-t-il accedé à son poste grâce à l'intelligence sur développée de Louis XIII le visionaire qui a vu en lui le sauveur de la France? J'en doute: la ruse et ses compétences en intrigues de palais ont été les deux qualités les plus fiable de Richelieu pour acceder au pouvoir. Ces "qualités" sont svt demandées en politique, que le systeme dirigeant soit la monarchie ou la république... ce que je veux dire, c'est qu'une fois de plus à mon avis, le débat Monarchie/République n'est pas concerné.
Quant à sa fameuse indépendance statutaire, je vous rappelle que dans notre chère république, le président choisit exactement qui il veut en premier ministre. Le risque est limité par le fait qu'un premier ministre qui n'a pas l'accord du parlement n'a aucun pouvoir. Donc, en réalité, aucune indépendance statutaire. C'est vrai et c'est surtout indispensable pour éviter les nombreuses dérives qui découleraient du fait de se confier trop à un seul homme pour gouverner 60 millions d'hommes.
Rédigé par : Noodles | 28 décembre 2005 à 11:40
Car le véritable débat est bien là, en somme: pour gouverner un pays, les républicains considèrent que les risques d'erreur sont moindres lorsqu'on s'appuie sur un groupe nombreux d'hommes lui même désigné par la population (presque) entière pour gouverner un pays. Le système a ses failles (le populisme est le plus grand danger). La monarchie personnellement me parait avoir bien plus de failles: un seul homme, qui a plus de risque d'etre sous qualifié, pour une tache aussi complexe... Hum.
Rédigé par : Noodles | 28 décembre 2005 à 11:44
"le bilan de l'ancienne Monarchie est plutôt positif comme en conviennent les historiens contemporains."
1) l'argument d'autorité ("les historiens contemporains") n'est jamais qu'un artifice oratoire et ne constituera jamais une preuve pour quelqu'un de rigoureux: c'est la démonstration de se bilan "plutot positif" qui est interressante.
2) dans ce cas précis, je me permets de douter de sa validité: "les historiens contemporains" : sans etre historien, je suis près à parier tres cher qu'il existe au minimum quelques histoiriens contemporains qui critiquent bêtement et totalement la monarchie sans lui reconnaitre la moindre qualité. Le manque de nuance est un défaut trop présent chez l'homme et il y a trop d'historiens pour ne pas en trouver quelques uns dans ce cas:)
Donc en résummé, pourriez vous nous présenter ce bilan "plutot positif" et le comparer au bilan "plutot négatif" (je suppose) de la République?
Rédigé par : Noodles | 28 décembre 2005 à 11:50
La Monarchie "à la française", même "absolue", n'a jamais été le pouvoir d'un seul homme sur la société ou sur le pays: le pouvoir central, même sous Louis XIV, devait composer avec les "franchises et privilèges" multiples dans les provinces, ce qui évitait ce face-à-face inégal d'aujourd'hui entre l'Etat et l'individu, face-à-face souhaité et théorisé par les révolutionnaires de 1789, au nom de la Liberté "majuscule" et théorique. Exemple: la Bretagne garde son autonomie (qui n'est pas l'indépendance, bien sûr) malgré les pressions de l'Etat central, jusqu'à la nuit du 4 août et, surtout, jusqu'à la création des départements (fin décembre 1789), simples relais de l'Etat central jusqu'à une période récente.
Je reviendrai sur la grande question de la Liberté, des libertés (ce qui n'est pas la même chose), des communautés et de l'Etat sous l'ancienne Monarchie.
Le Roi n'est pas "seul Pouvoir", mais doit accepter, ou assumer, les contre-pouvoirs (qui sont eux-mêmes des pouvoirs...) qui existent et cohabitent dans le royaume. Il n'est seul que pour les grandes décisions régaliennes dans le domaine diplomatique ou de "grande politique": là encore, il fait appel à de nombreux conseils (parfois antagonistes d'ailleurs...) avant de prendre une décision. Néanmoins, dans l'histoire récente, dans une Monarchie qui n'est pas absolue, la décision "solitaire" du roi d'Espagne face aux putschistes de février 1981 a été déterminante pour résoudre, sans un coup de feu, et avec le soutien immédiat du peuple (quelle que soit la couleur politique des Espagnols...), la crise provoquée par la tentative de coup d'Etat de Tejero.Il me semble que l'Espagne n'a pas eu à regretter cette intervention royale...
Quant aux bilans, regardons les derniers siècles de notre histoire nationale, et comparons, sans esprit de parti ou d'idéologie: sur le plan des guerres et des invasions de notre pays; sur le plan des régimes constitutionnels et des libertés publiques; sur le plan du Pouvoir et des contre-pouvoirs; etc. En ces trois domaines, les faits parlent d'eux-mêmes et j'y reviendrai.
Néanmoins, il faut aussi évoquer le problème institutionnel sous la Ve République qui a tenté de concilier les deux traditions, monarchique et républicaine. C'est son caractère monarchique qui, de par la forte personnalité du général de Gaulle (dont plusieurs ministres comme Edmond Michelet ne cachaient pas leurs sympathies monarchistes...), a permis à la Ve de s'enraciner durablement: mais, renouant dès l'époque giscardienne, avec les mauvaises habitudes politiciennes, la Ve a ainsi montré qu'elle ne pourrait se réaliser pleinement au bénéfice de la France et de l'équilibre du monde qu'en instaurant la Monarchie à la tête de ses institutions... Certains ont évoqué cette solution sous une formule apparemment paradoxale: "Couronner la Ve République". Nous en reparlerons, bien sûr...
Rédigé par : J.-P. Chauvin | 29 décembre 2005 à 14:37
Donc vous admettez que les avantages que vous attribuez à la monarchie (le roi rassembleur, charismatique, unificateur ou quel que soit le nom que vous donniez à la "classe" qui accompagne la fonction royale) n'est pas l'apanage de la monarchie puisque les présidents peuvent l'avoir (cf de gaulle). Tout est donc affaire de personnalité et non pas de régime.
Ajoutons que la véritable monarchie (cad celle qui concerve un pouvoir véritable, à l'inverse des divers carnavals comme la monarchie anglaise) est un système qui a échoué partout... je ne nie pas qu'il fu adapté en son tps, mais il est universellement rejeté aujourd'hui dans nos sociétés occidentales: la population se considere donc plus heureuse sans lui.
Rédigé par : Noodles | 02 janvier 2006 à 14:22
Quand au fameux "bilan", sans aucune provocation de ma part, il ne me semble pas si évident que cela. Je me doute bien qu'il est infaisable de le resumer rigoureusement ds un blog, mais si vous pouviez nous donner quelques references bibliographiques précises à ce sujet...
Rédigé par : Noodles | 02 janvier 2006 à 14:24
Juste un mot: non, tout n'est pas affaire de personnalité, mais c'est un élément qui peut compter, comme de Gaulle l'a montré (mais tous les hommes politiques républicains ne sont pas de Gaulle... et la République, alors, semble s'imposer comme le "régime des partis"). L'intérêt de la Monarchie, c'est justement de dépasser le seul critère de la personnalité et de faire en sorte, par l'indépendance donnée "de fait" par la naissance "hors-parti" du monarque, que les compétences soient utilisées au mieux par l'Etat et les décisions prises, au-delà parfois des seuls jeux parlementaires, sans "esprit de parti". En Monarchie, ce n'est pas la compétence du monarque qui est la plus importante mais l'indépendance qui lui permet de les utiliser, sinon toutes, en tout cas au maximum, et, surtout, d'être le "suprême recours" en cas de situations extrêmes: là encore, l'exemple de l'intervention du roi d'Espagne en cette soirée de février 1981, soirée déterminante pour l'avenir de l'Espagne et de son orientation, peut être évoqué.
Autre point: le régime monarchique "à la française" n'est "rejeté" que parce qu'il n'est pas exactement connu: il appartient aux royalistes de changer cette donne, car rien n'est définitif en ce domaine. J'essaye d'y travailler...
Les références bibliographiques sur le "bilan" sont nombreuses et j'y consacrerai une note en janvier. Je conseille néanmoins, comme "apéritif", la lecture du numéro du "Point" de ce jour sur Louis XIV. C'est très instructif...
Rédigé par : J.-P. Chauvin | 02 janvier 2006 à 18:27