Depuis la Révolution française existent plusieurs formes de royalisme qui ne cohabitent pas toujours harmonieusement : entre les monarchiens de 1789 favorables à une monarchie constitutionnelle et les « ultras » de la Restauration, entre les chouans et les notables évoqués par Daniel Halévy, entre l'Action Française et les « maorassiens » des années 1970, etc., que de différences, de contrastes, voire d'hostilité et de violentes querelles ! L'un des premiers duels de Maurras, en 1904, fut avec Eugène Godefroy, l'un des fondateurs de la Jeunesse Royaliste des années 1890, et le ressentiment entre Léon Daudet et Arthur Meyer, directeur du quotidien Le Gaulois et monarchiste convaincu, ne fut jamais dépassée par leur fidélité commune au duc d'Orléans... Le royalisme est aussi divers et divisé, somme toute, que le républicanisme qu'il est censé combattre ! Il suffit de faire un bref état des lieux des mouvements et journaux monarchistes de 2105 pour s'en convaincre, comme l'a encore fait récemment la revue Les Entretiens, publiée par la Conférence Monarchiste Internationale cet été.
Est-ce un élément de discrédit que cette dispersion des forces royalistes lorsque les monarchistes insistent a contrario sur le fait que « la Monarchie c'est l'unité » ? Pas vraiment, bien au contraire, car, au regard de l'histoire capétienne, l'unité n'est pas l'uniformité, et cela montre la diversité qui est nécessaire à toute vie politique saine et libre. Mais cela peut l'être quand les associations ou journaux monarchistes se cherchent (et se trouvent...) violente et irréductible querelle sur des sujets qui peuvent sembler bien loin de la question monarchique elle-même et des moyens pour parvenir à la Monarchie, ou quand les conceptions de celle-ci semblent trop éloignées les unes des autres selon les partisans des différents engagements monarchistes, mais surtout quand ceux qui font profession de royalisme oublient la mesure (celle que privilégiaient les capétiens quand ils disaient « savoir raison garder ») et l'intérêt commun de leur propre vocation politique.
Le paysage royaliste est complexe et bigarré : la Nouvelle Action Royaliste représente la tradition démocratique du royalisme conjuguée à une exigence gaullo-capétienne autant sociale que diplomatique, tandis que l'Action Française revendique l'héritage maurrassien et un « nationalisme intelligent » autant qu'« insurrectionnel » ; l'Alliance Royale, qui ne se prononce pas sur la question dynastique, représente un royalisme électoral plutôt « souverainiste de droite » quand le Groupe d'Action Royaliste (auquel j'appartiens...) incarne surtout la défense environnementale et les luttes sociales, dans la ligne du royalisme de La Tour du Pin et du catholicisme social ; sans oublier des associations spécifiquement liées à l'attachement à l'un des prétendants au trône, ou des bulletins, des sites sur la toile, des cercles d'études, etc., qui eux aussi participent à cette diversité monarchiste.
Certes, cela peut nuire à la « compréhension immédiate » du projet monarchique dans le sens où celui-ci ne revêt pas les mêmes formes et formules selon l'un ou l'autre des mouvements ou groupes, et que chacun le comprend et le défend selon des idées qui sont d'abord les siennes, alors que le curieux va surtout s'intéresser aux arguments pour la Monarchie plus qu'aux différences de sensibilité...
Néanmoins, il me semble important qu'il y ait plusieurs « chapelles » dans la Maison du Roi, et celles-ci, d'ailleurs, ont toutes leurs originalités qui permettent d'être entendus de publics différents et de mener ceux-ci, autant que faire se peut, vers la Monarchie. Cela en fait-il des « partis crédibles », pour reprendre l'expression de départ de cette brève réflexion ? Leurs échecs électoraux, leur petite taille politique, leur faible visibilité publique ne sont-ils pas les preuves de leur incrédibilité au regard de l'opinion publique, moins exigeante sur les idées que sur les suffrages exprimés ?
En fait, la crédibilité ne peut se mesurer uniquement aux chiffres électoraux, et c'est un argument qu'il faut rappeler et marteler : l'histoire, y compris récente et proche, nous montre à l'envi que, si l'on voulait reprendre la formule moqueuse de Pierre Juhel, les grands nombres sont aussi ceux qui comptent le plus de zéros...
En revanche, si l'on ouvre les revues royalistes, que cela soit La Nouvelle Revue Universelle, L'Action française, Libertés (jadis ASC) ou Royaliste, on est parfois surpris par la qualité de certains articles ou entretiens, et leur apport intéressant aux débats en cours, même si l'on peut être plus critique sur le positionnement de chacune de ces publications selon ses propres références ou préférences idéologiques. Mais chacun peut y trouver son compte, et le lecteur de Gérard Leclerc ou d'Hilaire de Crémiers est souvent bienheureux de sa lecture. De plus, la véritable crédibilité intellectuelle, c'est de participer, en tant que royaliste, aux débats intellectuels du temps, et de ce point de vue, les revues royalistes apparaissent honorablement crédibles, même si elles pèchent parfois par leur certitude d'avoir raison quand il faudrait, aussi, le prouver aux autres... et si certains domaines ont été longtemps négligés (comme les questions sociales, agricoles ou environnementales).
La crédibilité intellectuelle des publications royalistes est confirmée par les personnalités, parfois fort éloignées de l'engagement monarchiste, qui acceptent de répondre aux sollicitations de cette presse royaliste : sur ce point, c'est sans nul doute Royaliste (et ses « Mercredis », conférences hebdomadaires souvent de grande qualité) qui apparaît le plus en pointe, avec des invités qui, sur une quarantaine d'années, forment un véritable bottin du monde des idées et des débats, de Maurice Clavel à Jacques Julliard, de Pierre-André Taguieff à Jacques Sapir, de Régis Debray à Edgar Morin, etc. Mais L'Action française elle-même, à travers quelques colloques ou cercles récents, a aussi montré qu'elle pouvait attirer à elle quelques « belles plumes », souvent polémistes, comme Eric Zemmour ou Philippe de Villiers, quand l'Alliance Royale, elle, peut être citée avec empathie par Denis Tillinac dans ses articles de Valeurs Actuelles.
Cela étant, cette double crédibilité intellectuelle est-elle suffisante ? Apparemment non, car, s'ils y participent, les royalistes ne semblent guère peser par eux-mêmes sur les débats d'idées du moment. Si Maurras est régulièrement cité dans la presse et sous la plume des éditorialistes, principalement de gauche, c'est comme repoussoir et non comme référence sympathique : qui veut étrangler son adversaire le traite de maurrassien, sans plus d'explications, le qualificatif suffisant, apparemment, pour faire cesser tout débat... D'autre part, on ne peut, et c'est d'ailleurs heureux, limiter le royalisme à Maurras, ni à Bernanos d'ailleurs, ce dernier étant désormais devenu une référence obligée du courant des Veilleurs et de la Décroissance malgré son irréductible royalisme. Alors ? Y a-t-il de nouveaux penseurs royalistes issus de mouvements se revendiquant tels ou indépendants de toute structure partisane, qui pourraient regagner une place pour le royalisme sur la scène intellectuelle et politique ? Et si oui, comment leur donner visibilité et, donc, une efficace crédibilité aux yeux des intellectuels contemporains et du public pensant ? Des questions qui méritent, me semble-t-il, d'être posées...
(à suivre : la crédibilité des idées monarchistes ; les nouveaux chantiers idéologiques du royalisme ; le rôle des princes)
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