La nouvelle est presque passée inaperçue, malgré quelques articles et reportages télévisés, et elle est déjà presque oubliée, ce qui n’est guère rassurant quand on se rappelle de la devise « Gouverner, c’est prévoir ! » : depuis l’an dernier, depuis la période du 1er juin 2024 au 31 mai 2025, les cercueils se remplissent plus vite que les berceaux, ce qui est inédit depuis 1945, et ce qui arrive avec une décennie d’avance sur ce qui était prévu, au grand dam des économistes et d’un gouvernement qui n’avait pas vraiment besoin de cette mauvaise nouvelle supplémentaire. En fait, cela fait quelques années déjà que les signes inquiétants se multipliaient, entre une baisse rapide, prolongée et conjointe de la fécondité et de la natalité en France, baisse qui confine désormais à l’effondrement, apparemment sans espoir d’un redressement prochain et qui, de toute façon, ne sera évidemment pas suffisant s’il ne s’appuie pas sur des bases solides et pérennes. Si les causes majeures sont connues depuis longtemps, d’autres sont venues s’ajouter à celles-ci depuis la période de la crise sanitaire qui semble avoir accéléré le processus de déclin démographique du pays, à rebours de ce que l’on aurait pu espérer d’un confinement qui instaurait une proximité plus pressante dans les appartements et maisons…
L’hiver démographique dans lequel la France est rentré risque d’être plus long que souhaitable : une étude récente rapportait que le désir d’enfants s’était lui aussi effondré en France, particulièrement chez les générations les plus jeunes, et que le modèle de l’enfant unique, qui avait été si répulsif ou craint depuis les années 1940, devenait peu à peu la norme, sans compter la tendance « DINK » (« Double income, no kid » ; en français, « double revenu, pas d’enfant ») qui s’affirme de plus en plus parmi une grande part de la jeunesse, souvent éduquée et appartenant à des catégories « éveillées » (sic !) qui voient dans la simple natalité un risque majeur pour la Terre et ses ressources. Il importe tout de suite d’en finir avec ce préjugé qui fait des hommes des prédateurs de la planète et qui entraineraient ainsi sa destruction rapide : à bien y regarder, c’est beaucoup plus le système contemporain de croissance et de consommation qui menace la pérennité de la planète que les personnes elles-mêmes, qui peuvent sortir de ce système (pour ceux qui y sont) et vivre de façon raisonnable sans pour autant tomber dans la privation et le dénuement (1). Le grand enjeu des décennies prochaines sera, comme j’ai pu souvent le rappeler dans mes textes et interventions diverses et variées, de relever le défi de « la prospérité sans la croissance », ce qui n’interdit pas l’usage de la science et des nouvelles technologies si celles-ci parviennent à s’émanciper de la logique énergivore et purement extractiviste, là aussi un sacré défi pour nos chercheurs, en particulier ingénieurs.
D’autre part, la France a tout intérêt à relancer sa démographie interne, car c’est le renouvellement équilibré des générations qui permet de financer et de pérenniser le système de la retraite par répartition : or, aujourd’hui, il y a environ 750.000 nouveaux retraités chaque année, soit 100.000 de plus que de nouveau-nés, ce qui annonce, très concrètement, l’impossibilité de faire fonctionner correctement et même fonctionner tout court ce système de financement qui repose sur la solidarité intergénérationnelle… Bien sûr, le système de la retraite par répartition est insuffisant désormais pour assurer à long terme une retraite convenable à ceux qui sortent de l’emploi après une vie de travail et de cotisations, et la question d’un multi-financement des retraites va se reposer très vite (2), d’autant plus vite que le déclin démographique va entraîner, malheureusement, un risque de baisse de la production générale française si l’on ne renforce pas la formation des jeunes (toujours moins nombreux à arriver sur le champ du travail) et des moins jeunes (pour améliorer à la fois leurs conditions de travail et leur efficacité au regard des enjeux de concurrence de plus en plus pressants), et un risque de décrochage économique qui peut avoir de terribles conséquences sociales…
« La démographie est éminemment politique », ai-je l’habitude de dire et de répéter. Non que le politique doive s’introduire dans les chambres à coucher, mais il doit assurer l’accueil dans notre société de ceux qui sont à naître, par une politique familiale qui favorise l’accès à la maternité, à la crèche, à l’école de ceux-ci, mais aussi au logement des jeunes parents, entre autres. Le rôle de l’État n’est pas de tout faire, mais de permettre d’ouvrir les meilleures possibilités pour les familles pour de bonnes conditions de vie, d’éducation et d’intégration à la société française et à ses différents espaces de convivialité et de travail, mais aussi de repos. Une véritable politique d’aménagement des territoires est la condition d’une possible (et nécessaire) relance démographique française, ce nouveau printemps français qu’il importe de préparer…
Encore faudrait-il un État qui ne soit pas, en sa tête, remis en cause tous les cinq ans ! Un État qui soit, par lui-même, familial… Une Monarchie royale, dont le fils succède au père, et qui se conjugue à trois : le roi, la reine, le dauphin… Une famille pour soutenir toutes les familles, en somme.
Notes : (1) : La pauvreté assumée par le mode de vie monastique, par exemple, est évidemment à part, dans notre société : elle n’est pas imposée à tous et elle relève d’un choix éminemment spirituel, mais elle peut aussi fournir quelques pistes de réflexion, voire d’action, pour limiter les effets de l’action de l’homme sur la planète. Ce modèle n’est pas limité, au demeurant, à la simple vie monastique catholique, et des modèles approchants existent aussi dans d’autres sphères culturelles et civilisationnelles. Frugalité, sobriété, « décroissance »… sont des termes qui peuvent aussi trouver quelques applications, au-delà de ces modèles d’inspiration religieuse, dans nos sociétés contemporaines : il n’est pas forcément besoin, d’ailleurs, d’en faire une idéologie ou une doctrine pour qu’ils existent et prospèrent…
(2) : De nombreuses pistes de réflexion et de proposition existent sur cette question, entre capitalisation individuelle, capitalisation corporative ou autres formes d’épargne ou de création de richesses (y compris lors du temps de la retraite…), voire des formes de solidarité, de partage ou d’usage « en commun ». Il ne serait pas inutile que l’État laisse une grande part de latitude aux acteurs sociaux, professionnels et territoriaux, pour qu’ils puissent fonder, abonder et faire vivre durablement des modèles différents de ce qui est aujourd’hui en place, sans pour autant renoncer à soutenir ce qui existe et fonctionne déjà dans de bonnes conditions et avec de bons résultats. L’État devrait se contenter de susciter les débats et propositions, de garantir les systèmes qui peuvent résoudre utilement et justement les questions du financement et du fonctionnement des retraites, et de préserver (par la garantie et l’intervention si nécessaire) les intérêts des personnes au travail comme de celles sortant du temps de l’emploi. En somme, l’État doit remplir son rôle de garant de la justice sociale, tout simplement mais fermement.