Le mercredi 10 septembre, la France sera-t-elle complètement bloquée ? C’est l’objectif de ce mystérieux appel répercuté sur les réseaux sociaux depuis le printemps et désormais récupéré par la Gauche radicale autour de M. Mélenchon, représentant autoproclamé de celle-ci et adepte du rapport de force, voire (diraient certains) du chaos, dans une logique qui se veut révolutionnaire à défaut de l’être véritablement… Né à droite (voire très à droite…), ce mouvement ne peut plus jouer l’effet de surprise comme cela avait été le cas avec la révolte des Gilets jaunes qui, bien qu’annoncée quelques semaines auparavant, avait pris de court toute la classe politique et son pays légal par son ampleur et sa profondeur, plus encore que par sa violence qui traduisait une colère jusque-là ignorée ou mésestimée par les princes qui nous gouvernent. Sans doute est-ce ce qui a permis ces jours-ci la récupération éhontée et hautement revendiquée du « 10 septembre » par une Gauche qui, à défaut de propositions concrètes et de souffle politique, cherche à se refaire une santé et à occuper des rues qui paraissent plus faciles à remplir que les urnes. Si cela a alors détourné nombre de contestataires de droite, qui attendent la prochaine dissolution avec une certaine gourmandise, cet appel au blocage a cristallisé toute la contestation de gauche, malgré la défiance mal dissimulée des socialistes qui n’aiment guère le désordre et craignent d’être les dindons de la farce ou les cibles de la colère populaire, voire populiste, fut-elle de gauche. Le jeune député Boyard, nouvel apparatchik d’étiquette mélenchoniste, espère, quant à lui, le soulèvement des jeunes dans les lycées et les universités, tablant sur ce calendrier précoce de la rentrée sociale, plutôt favorable effectivement à un mouvement qui ne serait gêné ni par les examens (encore très lointains) ni par la crainte de ne pas être payés qui est celle des salariés mais pas celle des usagers de l’enseignement secondaire ou supérieur… Cela pourrait marcher, même si l’on imagine mal les jeunes contestataires se priver d’utiliser leur carte bleue ou renoncer à la restauration rapide, moyens pourtant initialement prônés par les promoteurs de l’appel au blocage. En fait, toute contestation ou toute révolte, pour gagner en efficacité, peut renoncer à ce qui semblait faire sa particularité ou son identité, et c’en est ici l’exemple-type.
Ce blocage annoncé a désormais une coloration trop marquée (trop rouge, en somme) pour être vraiment significatif des colères françaises du pays réel, à l’inverse du mouvement des Gilets jaunes qui représentait une révolte des périphéries rurbaines et rurales, du monde des artisans et de celui des retraités de condition modeste, contre la métropolisation, la mondialisation et le néo-nomadisme libéral. D’ailleurs, les déclarations de M. Mélenchon ont eu pour effet immédiat de désarmer une part de la révolte prévue, sans doute plus encore que la promesse de la chute du gouvernement Bayrou au soir du 8 septembre…
Et pourtant ! « On a raison de se révolter », clamait le titre d’un livre fameux des années 1970 auquel Jean-Paul Sartre avait contribué pour financer le quotidien Libération, alors maoïste… Les ravages de la présidence Macron, dans la suite des présidences Sarkozy et Hollande ; le déclin de notre économie et de ses écosystèmes locaux ; le creusement des inégalités et leur démesure, sources des injustices sociales ; l’insécurité ambiante liée à l’explosion, non de la pauvreté mais des trafics mondialisés de drogue (entre autres) ; la dévitalisation de nos territoires et la dépossession des populations locales anciennes, chassées des centres-villes et des littoraux par la gentrification ; la dévastation de nos paysages par une bétonisation de plus en plus envahissante ; etc. : autant de raisons valables de protester, de se révolter, de se soulever ! Mais le pays légal de gauche, sentant que cette révolte générale risquait aussi de l’emporter comme tout le pays légal sous toutes ses formes, a préféré rejoindre le mouvement pour mieux le détourner et, en fait, le stériliser. Le 10 septembre, malgré sa promesse initiale d’un grand bouleversement, risque bien de n’être que la triste parade colorée de rouge d’une contestation encadrée et bien peu dangereuse pour le régime. Si la Cinquième est aujourd’hui défaillante, ce n’est pas le 10 septembre qui la mettra par terre, ne serait-ce que parce qu’elle est déjà d’une certaine manière tombée il y a un an, lors de la dissolution de l’Assemblée nationale par le président Macron… Et le blocage du 10 vient juste se superposer au blocage institutionnel actuel, rien de plus. Il n’est pas certain que cela soit profitable au pays comme à ses citoyens…
Le mouvement de blocage annoncé du 10 septembre est, avant même d’avoir eu lieu, une occasion que l’on peut qualifier de manquée : cela n’enlève rien à l’urgence et à la nécessité d’une réaction du pays réel face au désordre établi dont MM. Bayrou et Macron ne sont que deux figures symboliques et déjà en cours d’effacement.
D’où sortira cette réaction, cette révolte, voire cette révolution du pays réel ? S’il y a bien de nombreux foyers potentiels, lieux de mécontentements et de colères légitimes, encore leur faut-il un moment favorable et un débouché crédible pour advenir et s’imposer face à un système qui ne se laissera évidemment pas faire : si nous ne savons pas toujours grand-chose du premier, il nous appartient de préparer, activement et intelligemment, le second…
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