Les délocalisations contemporaines ne sont pas qu’un simple transfert d’emplois vers des terres plus lointaines et fiscalement (entre autres) plus accueillantes : elles constituent aussi un « désarmement » industriel français problématique et socialement autant qu’économiquement coûteux…
Les délocalisations accélèrent la désindustrialisation. Il y a quelques semaines, Jean-Marc Daniel qui est un économiste libéral (2), expliquait que pendant trente ans on avait vu les hommes politiques devant les usines sidérurgiques et métallurgiques, avec le même discours à Hayange, à Florange et ailleurs. Rappelez-vous de la trahison de François Hollande à Florange, ce que les ouvriers n’ont pas oublié. Il y avait cette idée, ce discours (pourtant plein de promesse) qui disait que l’on allait sauver la sidérurgie, l’usine et puis évidemment, une fois que ces messieurs étaient élus, ils oubliaient tout aussi vite leurs belles promesses car ils se devaient à d’autres maîtres... Je pense que François Hollande est sans doute celui qui a le plus rapidement retourné sa veste et, en moins de quinze jours, tous les engagements qu’il avait pris par rapport à cela, pour le secteur industriel, avaient déjà disparus. Cela rappelle la formule de Lionel Jospin qu’on a évoqué aussi tout à l’heure dans le trio de ceux qui ont dérégulé en France. Lionel Jospin qui, lorsqu’il y avait une usine de Renault qui avait fermé ou était menacée, en Belgique à Vilvoorde, avait dit « Ah, on ne peut pas tout faire ! L’Etat ne peut pas tout ». Il l’a dit avec un air d’abandon, de fatalisme : ah bah, c’est comme ça !... Pourquoi chercher à s’opposer ? A contrario, les royalistes ont tendance à penser que l’on peut (que l’on doit, même !) s’opposer et pour mieux s’opposer il faut proposer.
Au-delà des délocalisations et de la désindustrialisation, et je termine mon propos sur ce point, ce que Jean-Marc Daniel faisait remarquer avec une certaine justesse, c’est que, après trente ans passés devant les usines métallurgiques, on allait voir les mêmes passer une dizaine d’années devant les usines automobiles avec le même discours du type « Nous préserverons les emplois » (sic). J’ai eu quelques indications récentes qui me laissent entendre que la grande usine automobile Stellantis de Poissy fait partie de la prochaine charrette, jusqu’au jour où il n’y aura plus du tout de constructeur producteur en France, rien d’autre que des concessionnaires. À partir du moment où nous ne sommes plus capables de produire quelque chose dont nous pouvons avoir besoin, nous savons que nous sommes dans la main des autres et que nous sommes dépendants. Il ne s’agit pas de prôner l’autarcie mais il s’agit d’avoir, de conserver tous les moyens de produire ce dont nous avons absolument besoin au-delà même du désir. La distinction entre les besoins et les désirs peut être intéressante, d’ailleurs, et cela même si la société de consommation contemporaine valorise les seconds au détriment des premiers.
Il y a donc ce mouvement, qui continue et qui inquiète beaucoup, de délocalisation, de désindustrialisation. L’industrie est pourtant importante, et elle fait partie comme l’agriculture de ces espaces productifs qu’on ne peut pas négliger. Hier (ndlr : vendredi 21 fév. 2025), il y a eu un article dans www.lefigaro.fr – Lyon, sur une petite entreprise qui ne compte qu’une cinquantaine de personnes. On pourrait dire alors que ce n’est pas très important, mais j’ai trouvé que l’article en lui-même était extrêmement révélateur. C’est l’entreprise Givaudan-Lavirotte, qui est exploitée par le groupe Isaltis (appartenant à l’entreprise chimique canadienne Macco Organiques). Le titre est très intéressant parce qu’il rejoint un peu ce qui a été dit auparavant par Antoine de Crémiers sur la financiarisation. On est ici passé d’une direction industrielle à des financiers, et c’est fort malheureux. Donc, à Lyon, les brevets d’une usine centenaire vont partir à l’étranger. C’est une usine qui a été créée par des Lyonnais en 1906 et qui va sans doute disparaître du paysage assez rapidement parce qu’on va la délocaliser. Et l’on peut voir, en direct, que ces grandes sociétés parlent souvent de coût du travail qui serait trop élevé chez nous, mais qu’en fait, elles n’ont rien fait pour investir en France. À chaque fois qu’il y a une fermeture d’usine, on voit d’ailleurs monter les cours de l’action de l’entreprise qui va fermer cet établissement ! Soyons clair : c’est un véritable déni d’humanité et un déni de social. On voit toute l’hypocrisie de ce monde financier qui oublie que si les actionnaires ont une certaine richesse, c’est parce qu’au départ il y a eu des producteurs qui ont fait de leurs mains ce qu’ils (financiers et actionnaires) exploitent, ce qu’ils financiarisent et ce qu’ils abandonnent pour aller vers de nouvelles terres plus prometteuses au niveau des revenus. Je pourrais citer la dernière phrase de cet article « c’est un abandon industriel de plus dans le quartier (…). Dans le huitième, il y avait beaucoup d’entreprises à une époque… [La dernière phrase nous renvoie à notre propos de la responsabilité politique ou de l’irresponsabilité de certains politiques et du système dans lequel nous sommes] Les responsables politiques parlent de souveraineté industrielle mais les actes ne sont pas en adéquation ». Ce qui explique aussi la désindustrialisation, c’est le grand abandon, cette espèce de fatalisme qui démobilise. Mais, à entendre Antoine de Crémiers, je suis bien persuadé que ce n’est pas un abandon démotivé, un abandon fataliste. Au contraire, il y a derrière cet abandon des gens qui en tirent, eux, un grand profit, ne serait-ce que pour leur carrière politique quand d’autres y trouvent un intérêt pécuniaire...
(à suivre)
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