Alors que je me rendais jeudi dernier à une réunion d'Alliance Royale pour témoigner de mon expérience électorale royaliste, je suis passé devant le Café du Croissant, non loin de la Bourse, celui-là même où le socialiste Jaurès a été assassiné le 31 juillet 1914 par Raoul Villain (acquitté en 1919...).
Par une drôle de coïncidence, il se trouve que j'avais dans mon sac deux livres dont celui de Jaurès sur le roi Louis XVI, extrait de son "Histoire socialiste de la Révolution française", réédité récemment et préfacé, très intelligemment, par Max Gallo. Ce livre, découvert par hasard dans une librairie du Chesnay, est intéressant et montre à l'envi la complexité de la pensée de Jaurès à l'égard d'un événement fondateur pour les républicains français, la Révolution française. Ainsi, à le lire, on constate que le socialiste reproche d'abord au roi de n'avoir pas su, ou pas voulu, devenir le roi de la Révolution, ce qui lui aurait permis de sauver, non seulement sa tête, mais son trône. Autant Jaurès est critique, voire injuste, envers Louis XVI, autant il montre l'ambiguïté des révolutionnaires et la dangerosité, malgré (ou à cause de ?) leurs grands principes, du mécanisme terroriste que la République, à travers les hommes qui s'en réclament, met en place aux dépens des libertés humaines, concrètes...
Bien sûr, il y a beaucoup à redire sur ce livre et sur les jugements de Jaurès (mais la lecture conjointe du passionnant "Louis XVI" de Jean-Christian Petitfils rétablit les vérités que le dirigeant socialiste méconnaît...), mais il me semble qu'il n'est pas inutile de le lire, comme un document historique qui nous en apprend plus sur son auteur que sur son objet, sur ses idées (voire ses illusions...) qui seront les siennes jusqu'au coup de feu fatal du 31 juillet 1914...
Dans mon sac, j'avais aussi un livre qui, "de l'autre côté de la barricade", évoquait Jaurès. Il s'agit du Journal privé des années 1914-1915 de Jacques Bainville, écrivain et historien royaliste, rédacteur d'esprit indépendant à l'Action française, ami de Maurras mais si différent, dans le style, du polémiste.
Sur le meurtre de Jaurès, Bainville écrit : "Tuer Jaurès au moment où la politique de Jaurès s'effondrait, au moment où sa conception internationaliste et pacifiste du socialisme s'abîmait dans le néant, au moment où de toute sa pensée, de toute sa carrière d'orateur, la brutalité des faits ne laissait rien, (...) au moment aussi où il importait au salut public que la France conservât tout son calme, oubliât ses divisions,- tuer Jaurès, c'était plus qu'un crime, c'était une faute". Cet assassinat n'a heureusement pas fait basculer le pays dans la guerre civile, comme semblait le souhaiter Guillaume II, l'empereur allemand, et il n'a pas empêché l'Union sacrée d'août 1914: devant le danger, l'unité française a été la plus forte.
Mais, au-delà de cette page d'Histoire, apparemment si lointaine (la radio annonçait ce matin la mort d'un des six derniers poilus de la Grande guerre qui en avait compté plusieurs millions...), il me semblait entendre quelques échos de l'actualité la plus récente, au gré des périls géopolitiques qui, au Moyen-Orient, peuvent faire craindre le pire: la guerre civile, si proche, en Irak; la "question d'Iran" et celle de Mahomet, si diverse et tant discutée, de part et d'autre de la Méditerranée...
Au regard de ces périls et de ces incertitudes, de ces inquiétudes qui taraudent désormais nos diplomates, un ami m'affirmait il y a quelques jours : "nous sommes en juin 1914"... Il faut souhaiter que nous n'arrivions jamais au 28 de ce mois maudit... Mais il est en effet bien tard: la grande question de la Défense nationale risque de se poser plus tôt que prévu, ne serait-ce que devant la crainte d'une guerre terroriste dont, si nous ne connaissons ni le jour ni l'heure, nous savons l'horreur.
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