Le geste du député UDF Jean Lassalle pour sauver 150 emplois menacés de délocalisation (à 70 kilomètres de l'usine d'origine) a pu choquer, ou se heurter à l'incompréhension : une grève de la faim peut, en effet, paraître bien dérisoire, surtout en politique. Mais ce geste a payé : "une politique se juge à ses résultats", affirmait Maurras, et, dans ce cas précis, un moyen apparemment peu politique a permis de résoudre un problème que les institutions politiques, celles de l'Etat comme celles des collectivités locales, ne parvenaient pas à maîtriser, faute d'être écoutées par les intérêts économiques et financiers concernés.
Au-delà du dossier de l'entreprise japonaise Toyal, propriétaire du site menacé jusqu'à ce matin de déménagement, il y a le problème plus large de l'Aménagement du territoire et des impulsions que peut donner, ou non, l'Etat. Dans ce cas précis d'une vallée pyrénéenne, il n'est pas inutile de rappeler que celle-ci est passée, en un siècle, de 12.000 habitants à moins de 3.000, et que la fermeture de l'usine lui aurait donné le coup de grâce. Or, et cette affaire le montre, une juste et audacieuse politique d'Aménagement du territoire est sans doute l'une des clés (mais pas la seule, bien sûr) de la lutte pour le maintien et la création d'emplois. D'autant plus que les nouvelles technologies peuvent jouer un rôle important dans la redistribution territoriale des activités. Maintenir aujourd'hui une usine, donc des familles, donc des commerces, donc une vie sociale et des réseaux d'amitié et d'entraide, c'est la possibilité pour demain de permettre l'implantation de nouvelles activités, donc de nouvelles familles, etc.
A l'heure où les métropoles et leurs périphéries approchent de la saturation et où les prix de l'immobilier sont de plus en plus dissuasifs en ces lieux précités, négliger les possibilités offertes par les campagnes et les montagnes françaises serait une erreur que l'Etat ne doit pas commettre. L'affaire soulevée par Jean Lassalle nous le rappelle opportunément.
Sur un forum
Les bons sentiments comme ersatz de la politique
Auteur: Gigéhel
Date: 04-16-06 08:04
La façon dont les media ont rendu compte pendant près d'un mois de la grève de la faim du député béarnais Jean Lassalle est, je crois, révélatrice de ce qui taraude notre pays - en particulier ce que j'appelle, à la suite de Finkielkraut, le déni de réel ou le refus de dire la réalité, telle qu'elle est, sans verbiage ni fioritures. Le verbe "rendre compte", prédiqué aux media, est sans aucun doute impropre : en fait, j'aurais dû écrire "célébrer" ou "compatir", puisque le procès de "comprendre" a perdu sa force intellectuelle et ne réfère plus qu'à l'empathie compatissante ou maternelle des "comme je vous comprends, mon cher". Il se trouve que j'ai rencontré ce député à deux reprises lors d'un banquet annuel de commémoration du 18 juin et que j'ai pris conscience dans ces occasions, en regardant mes commensaux (près de 150 personnes, toutes honorables, parfois d'anciens combattants de la France Libre, un Compagnon de la Libération, d'autres décorés : les plus jeunes avaient soixante ans, les plus âgés près de 90 ans) et en écoutant ce qui se disait (un discours pieux de dix feuillets environ, mais lus à deux reprises dans le désordre, donc sans queue ni tête pour quelqu'un qui en suivait le "cours") et en assistant aux divertissements (un prestidigitateur avait été rémunéré pour égayer le public et qui racontait des blagues ineptes entre ses numéros), que, hélas, la pensée de celui que l'on honorait le 18 juin ne signifiait plus rien ou presque plus rien, sinon un attachement émotionnel, pour les gens qui lui rendaient hommage. Jean Lassalle, fils de berger, qui a une belle voix ample et vibrante (une voix de ténor, me semble-t-il : il a entonné lors d'un de ces banquets l'hymne des Pyrénées) est un excellent homme, chaleureux, amical, humble, aimable, qui a été longtemps le porte parole des habitants des hautes vallées, défendant un mode de vie à l'ancienne et s'opposant à la réintroduction de nouveaux ours, ainsi qu'aux règles trop rigides que le Parc National des Pyrénées impose à ceux qui travaillent depuis des siècles dans la montagne. S'il s'est interdit d'avaler quelque nourriture que ce soit pendant plus d'un mois, mettant sa propre vie en danger, c'était pour faire pression sur un groupe industriel japonais, Toyal, qui fabrique, à Accous, un village de la vallée d'Aspe (qui se trouve dans la circonscription du député Lassalle), des pigments chimiques servant à colorer l'aluminium et qui entendait déplacer la fabrication de ces produits dans une usine nouvelle, sise à moins de 50 km d'Accous. C'est ce que Jean Lassalle a appelé, de façon totalement impropre, une "délocalisation" - le terme étant même repris sans la moindre distance dans les media, alors que l'usine changeait de canton et de circonscription électorale. L'usine Toyal est installée à la limite du Parc National des Pyrénées, régi par des règles protectrices qui interdisent, dans son périmètre, mais aussi dans ses abords, toute activité industrielle, qu'elle soit ou non polluante. Elle se trouve dans une vallée étroite et d'accès difficile, qui devait être désenclavée par le percement du tunnel du Somport (auquel se sont opposés pendant vingt ans ou plus les écolos et les bobos) et aussi par l'élargissement de la route qui y accède (élargissement auquel là encore s'opposent les mêmes écolos, bobos et autres puristes de la vie à la pontagne et qui est à peine commencé - alors que, de l'autre côté de la montagne, les Espagnols, conformément aux accords sgnés avec la france, ont construit une autoroute). De plus, cette usine a besoin d'eau : elle est installée près du gave d'Oloron, rivière protégée et surveillée : tout accident industriel y provoquerait une catastrophe écologique grave. Les terrains constructibles y sont rares; les nouveaux ouvriers ne trouvent pas à se loger, etc. En bref, tout est fait dans cette vallée pour y faire disparaître l'activité industrielle. Les dirigeants de Toyal, qui ont besoin d'augmenter leur production pour répondre à la demande croissante, l'ont compris : ils ont donc décidé d'installer leur nouvelle usine à moins de 50 Km d'Accous dans la plaine de Lacq (là où se trouvent des gisements de gaz naturel, aujourd'hui épuisés et quasiment tous fermés) : des terrains sont disponibles, l'autoroute est proche, il existe des équipements pour prévenir les les risques industriels (incendies, pollutions accidentelles, etc.), de nombreux logements sont vacants dans la ville de Mourenx. En bref, le déplacement de l'usine était parfaitement en accord avec tous les bons principes de gestion de l'espace collectif. Or, à aucun moment, les media n'ont informé correctement les citoyens de la réalité des faits; à aucun moment, n'a été exposée clairement la situation : tout ce qui aurait pu contredire ou contester le bien fondé de la grève de la faim a été tu ou occulté. Les seules images que l'on ait vues ou les seules analyses qui aient été développées ont été celles de l'émotion, de la compassion, de la sympathie ou de l'empathie - de la compréhension entendue dans un sens dégradé. Enfin, personne n'a osé montrer l'immoralité de cette grève de la faim qui n'a été qu'un chantage à l'adresse des pouvoirs publics et du groupe Toyal : si vous prenez la décision (parfaitement justifiée) que vous entendez prendre, vous serez responsables de ma mort. Le résultat de ce gâchis est que, une fois de plus, l'Etat va être mis à contribution : ce sont les citoyens qui vont payer par l'impôt les aides promises à Toyal pour agrandir l'usine d'Accous et la mettre aux normes Seveso. Les bons (et en apparence "nobles") sentiments n'ont pour objet (réel) que de faire "cracher au bassinet" l'Etat. C'est aussi ce qui est en jeu dans le remplacement du CPE par des emplois assistés ou aidés.
JGL
Rédigé par : Vol de l'Aigle | 17 avril 2006 à 00:18
Tout vient à temps, pour celui qui sait persévérer. J'admire le courage de Jean Lasalle, qui a suscité pas mal de jalousies.
A Vol de l'Aigle.
Très complèt, merci.
Les impôts c'est une chose, le sens civique en est une autre. Pourquoi dans la bouche des hommes le mot "émotion" prend toujours une tournure péjorative? Nous ne voulons tout de même pas voter pour des robos. Si?
Rédigé par : Princesse Palatine | 27 avril 2006 à 17:16