Après deux mois de crise, il n'est pas inutile d'en dresser un rapide bilan et de regarder quels sont les changements intervenus sur la scène nationale : cela peut permettre d'éclairer les débats et les enjeux des mois prochains, au moins jusqu'à la présidentielle de 2007.
Certes le CPE est mort, mais l'idée de "flexibilité", rebaptisée "agilité" par Ségolène Royal pour ne pas effrayer le "nouvel électorat" de gauche, est désormais au centre des débats économiques en France, et, surtout, il n'est plus considéré comme un tabou, ce que signalent de nombreux journalistes économiques. En somme, cette crise a eu pour effet paradoxal dans les milieux de l'entreprise et de l'économie de "libérer la parole" et d'avancer des idées désormais considérées comme fondamentales pour la relance de l'emploi. Reste à voir ce que les patrons en feront et si certains ne risquent pas, par un effet de balancier classique, de vouloir aller trop loin.
Sur le plan politique, l'échec gouvernemental apparaît patent et la "reculade" de la "droite de gouvernement" risque d'entraîner une paralysie de l'Etat, en particulier dans le lancement de grands projets et dans la prise de décision : désormais, on attend 2007, soit "un an de perdu"...
Il a beaucoup été question aussi de "crise de régime": c'est d'ailleurs devenu un refrain à la mode depuis le 21 avril 2002. Quoiqu'il en soit, la question institutionnelle est relancée, mais les réponses apportées par les partisans, de droite comme de gauche, d'une VIe République ne semblent guère satisfaisantes ni convaincantes. En tout cas, cette crise a mis à mal l'idée (chère à Nicolas Sarkozy, entre autres) d'un "régime présidentiel", ne serait-ce que parce que le cumul des fonctions entre les mains du Président lors d'une crise comme celle que vient de vivre la France aurait entraîné, on le sent bien, un véritable blocage institutionnel.
Autre élément que l'on peut évoquer dans le bilan de la crise: l'arrivée en politique d'une nouvelle génération, "née" dans les amphis et les manifestations de ces dernières semaines, principalement au bénéfice de la gauche et de ses marges. Mais, il faut sans doute relativiser ce phénomène, ne serait-ce que parce qu'il est régulièrement annoncé (en décembre 1986, en avril 2002 ou au printemps 2005), et que, quelques mois après les événements qui l'ont mis au monde, la participation aux élections de cette "nouvelle génération" reste faible. D'autre part, les discours et les pensées politiques entendus durant cette crise ne révèlent pas vraiment de grand renouvellement ni sur le plan des idées ni sur le plan des projets. Sans doute faut-il attendre quelques mois encore pour tirer un bilan sur ce sujet, et voir si les jeunes générations sortent de ce que les politologues ont parfois qualifiée de "fatigue démocratique".
D'autre part, cette crise a vu, en contre-dépendance de la mobilisation de nombreux jeunes, l'affirmation d'une réaction au "jeunisme" et aux grands principes de la "démocratie émotionnelle", réaction portée par quelques philosophes comme Robert Redeker ou Alain Finkielkraut, et quelques journalistes comme Eric Zemmour et Elisabeth Lévy. Leur position pourrait être résumée par cette citation de Régis Debray qui, d'ailleurs, semble assez proche d'eux sur ce sujet : "les idées dominantes d'une époque sont comme le mobilier ou les tableaux des appartements de la classe dominante : ils datent de l'époque précédente". En tout cas, il faut souhaiter que le non-conformisme de ces "réactionnaires" (au sens premier du terme, bien sûr), avec lesquels j'ai quelques points d'accord, reste "vif" et qu'il soit capable d'éviter la tentation de l'aigreur ou de la désespérance, tentation forte dans nos sociétés si peu motivées par l'Esprit et la discussion...
En somme, il me semble que l'après-crise est intéressante car elle ouvre de multiples champs du possible, en particulier dans le domaine des idées et de la réflexion politique. Il serait dommage de déserter le terrain au moment même où la poussière se dissipe et laisse apercevoir, au-delà des champs de bataille, des passions rougeoyantes et des illusions perdues, de nouveaux horizons qu'il s'agit désormais d'approcher, voire de conquêrir...
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