Souvent, l’Histoire ressemble à une galerie de papillons aux multiples couleurs, fort belles parfois, mais que la vie a définitivement abandonné et dont on n’imagine même pas qu’ils aient pu, un jour, voler d’eux-mêmes, portés par les vents contraires et soucieux, sinon conscients, de vivre ou de survivre
L’Histoire est trop souvent la froide narration ou explication de la vie des hommes et des sociétés, science trop rationnelle parfois pour saisir ce que fût la vie d’antan et d’autrui : ainsi, les êtres ne sont plus que des marionnettes inanimées, froides et lisses, entre les mains expertes des historiens. Bien sûr, l’Histoire se veut alors l’établissement de la vérité dont on démonte tous les ressorts, dont on scrute tous les mécanismes et qui devient alors une science de laboratoire, certes intéressante, mais à laquelle il manque une dimension, forcément nécessaire pour la comprendre : le souffle
Parfois, l’écrivain, le dramaturge ou le cinéaste, se saisissent d’une page ou d’une figure de l’Histoire et lui rendent une âme, un sens ou une portée humaine que la seule analyse ou érudition ne peut rendre. Certes, la vérité historique de l’événement peut en souffrir, mais il faut admettre que la littérature n’est pas l’Histoire même si, dans un échange constant, elle s’en sert et la sert.
Ainsi, il faut bien l’avouer : le film de Sofia Coppola, « Marie-Antoinette », n’est pas l’Histoire, elle est une traversée de l’Histoire par la jeune femme arrivée un jour de 1770 pour épouser le dauphin de France et qui, élément d’une politique d’alliance franco-autrichienne voulue par sa mère, l’impératrice Marie-Thérèse, et par le roi Louis XV, veut d’abord vivre sa jeunesse. C’est cette recherche du bonheur que Sofia Coppola traduit par une débauche de couleurs, de fêtes et de macarons, sur des musiques rocks, véritables menuets en plus speed, dans une ambiance très « jet-set », certes anachronique pour le puriste, mais utiles pour faire comprendre l’atmosphère de l’époque : j’en veux pour preuve les réactions de quelques lycéens spectateurs pour qui le mélange des genres et le rythme endiablé de la fête à Paris, lors de l’escapade des époux princiers, parlent plus qu’une simple recomposition historique pas vraiment susceptible d’émouvoir des jeunes aujourd’hui dépourvus de culture générale classique. Sans doute faut-il rappeler aussi que le film se veut le point de vue forcément subjectif de la reine, ce qui explique aussi ses permanentes interrogations et hésitations, son ennui qu’elle essaye de tromper par l’étourdissement des fêtes et les occupations jardinières, ses jeux et ses discussions d’adolescente, voire ses désespoirs et ses larmes de jeune femme prisonnière de sa naissance et de son mariage, des devoirs de sa charge de dauphine, puis de reine.
Bien sûr, la vision de la Cour de France est parfois très « américaine » avec un côté Hollywood un peu fantasque et lourd à la fois : la figure du roi Louis XV ressemble plus à celle d’un Texan un peu rustre et voyou, et la pauvre Madame du Barry à une catin sans style, ce qui, à défaut de correspondre à la réalité, rappelle l’opinion de Marie-Antoinette à son endroit
Mais le roi Louis XVI est loin d’être ridicule, contrairement aux « légendes » de nos manuels d’Histoire d’antan qui le représentaient comme un imbécile dépourvu de qualités. Au contraire, la caméra de Sofia Coppola nous le rend dans sa pleine humanité, maladroit et timide, gêné de son corps et par sa myopie, souvent indécis et en même temps soucieux de bien faire, attaché à cette jeune femme que la diplomatie lui a donné pour épouse.
Ce film, tourné en grande partie dans le château de Versailles, le fait revivre dans sa dimension de centre du Pouvoir et de lieu de représentation de la Monarchie, y compris dans ses aspects les plus contraignants liés à l’étiquette et à la publicité obligatoire de la vie royale. Quant au hameau de la Reine, il apparaît vraiment comme cet endroit où l’épouse du roi peut se sentir libre ou, en tout cas, respirer loin de l’étouffoir de la Cour et de ses médisances, et rêver à ce qui lui est interdit, comme cet amour pour le Suédois Axel de Fersen, amour phantasmé en quelques images « chaudes ».
Les dernières minutes du film, après des moments un peu longuets, font basculer la reine dans la tragédie de l’Histoire et lui rendent sa dimension de femme de devoir qui, après la perte de deux de ses enfants, est devenue la mère du roi, celui à venir, celui qui, de par sa naissance, assure une suite à la dynastie. Intenses, les images de
Splendide!
Très joliment dit, M'sieur... Vous m'avez titillé l'envie d'aller le voir. Compliments.
Rédigé par : Hugo | 08 juin 2006 à 21:22