Je suis récemment passé dans la petite ville médiévale de Dinan, celle que la duchesse Anne appelait « la clé de ma cassette » parce que sa position stratégique permettait de tenir toute la Bretagne-nord. Me promenant près de la basilique Saint-Sauveur que j’ai fait visiter durant l’été 1989 aux touristes de passage, je n’ai pas résisté, après avoir salué le cur du connétable Bertrand Duguesclin conservé dans l’église, à la tentation de pousser la porte du libraire de la place : parmi les nombreux livres anciens qu’il proposait à la vente, se trouvait la fameuse trilogie écrite par Raoul de Navery (en fait, une femme, si je ne m’abuse) autour du pays de Dinan et, en particulier, du château de Coëtquen et de l’abbaye de Léhon, au bord de la Rance. Trois livres que j’ai dévoré avant mes quinze ans et dont je garde un souvenir fort, sans doute un peu idéalisé par les années passées : « Patira », « Le trésor de l’abbaye » et « Jean Canada ».
Je les ai à nouveau lus avec autant d’empressement et de plaisir, en particulier « le trésor de l’abbaye », que jadis. Ce dernier est, en fait, teinté d’un fort esprit contre-révolutionnaire, et donne de la Révolution et de ses développements dinannais une image très négative : sans doute, lorsque je l’ai lu pour la première fois, je n’ai pas saisi tous les aspects et enjeux de cet ouvrage que j’ai d’abord vu comme un roman tragique et beau dans une époque dramatique et épique, voire héroïque en certaines figures de ces temps troublés. Mais ce livre, mêlé à d’autres lectures comme celle de « La bande des Ayacks » ou du « Prince Eric », ainsi qu’aux ouvrages du colonel Rémy (encore un monarchiste
) sur la Résistance et ses héros, n’est sans doute pas pour rien dans mes inclinaisons politiques royalistes. Bien sûr, ce n’est que bien des années après mon adolescence littéraire que je peux en faire le constat : mais, mon engagement, s’il ne méconnaît pas la dimension sentimentale, romanesque, voire « romantique » aux yeux de certains, est d’abord le fruit d’une réflexion politique sur l’Etat, la Cité et ses institutions, sur la durée et la mémoire en politique.
Au regard des événements actuels, de l’impuissance de notre République à concevoir une action qui dépasse la période quinquennale, ce « temps court des présidences », au regard de la lâcheté de notre classe politique face aux drames libanais, irakien ou soudanais, au regard de la pusillanimité de cette classe des oligarques qui fait de la « gouvernance » au lieu de vraiment gouverner, « tenir le gouvernail » : oui, il me semble bien que mes lectures d’antan m’ont appris que, non seulement « le désespoir est une sottise absolue » mais qu’il est parfois un crime, et que l’honneur, s’il ne suffit pas à faire une politique, permet en tout cas d’en dépasser les limites et le discrédit.
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