Je poursuis ici la publication de mes notes prises lors du colloque du Centre d’histoire de Sciences Po sur « L’Action Française » (21-23 mars), notes dont une partie a été, à la demande du journal éponyme, publiées dans ses colonnes avec, malheureusement, quelques « coupes » dues aux impératifs de « place disponible ».
L’Action Française et les milieux sociaux.
Quels ont été les rapports entre l’AF et les différents milieux sociaux qui constituent le paysage français ? Si le monde paysan et la classe ouvrière n’ont pas encore été étudiés, le colloque a permis de mieux évaluer les relations entre le mouvement maurrassien et des milieux professionnels qui comptent fortement dans la société et que l’AF semble, parfois, privilégier dans sa conquête des « Français actifs ».
Dans les milieux juridiques, étudiés par Gilles Le Béguec, l’influence de l’AF se fait sentir grâce à sa récupération de la vieille société des jurisconsultes catholiques et du vieux barreau royaliste de Paris, encore vigoureux au début XXe, et à une présence marquée dans les milieux avocats, en particulier en France méridionale, en Vienne ou encore dans le département d’Alger. Mais les principaux noms du barreau connus dans le mouvement d’AF sont le marquis de Roux, réputé aussi pour ses nombreux travaux historiques, et, à partir des années 30, Georges Calzant, dont la réputation brouillonne, voire détestable, fait fuir de nombreux jeunes avocats.
La crise de 1926 (condamnation de l’Action française par le pape Pie XI) a porté un coup rude à la propagande d’AF dans les milieux juridiques en détournant de nombreux catholiques ; de plus, l’AF a beaucoup tardé à mettre en place des structures pour accueillir les avocats, ce qui rend le coup plus rude encore. Malgré les sympathisants du « Cercle de Sèze » et un certain renouveau activiste au milieu des années 30, dont Robert Castille est le meilleur exemple, les défections sont nombreuses comme celles d’Edgar Faure (futur ministre de la IVe et de la Ve Républiques) ou de Jacques Renouvin, et, s’il peut subsister une « imprégnation maurrassienne » dans le Barreau, l’influence de l’AF doit être, en fait, révisée à la baisse.
Dans les milieux médicaux, évoqués par Bénédicte Vergez-Chaignon, l’AF trouve quelques échos favorables du fait qu’elle milite contre le trop grand nombre, à ses yeux, de médecins étrangers, ce qui, toujours d’après l’AF, entraîne une baisse du revenu des médecins français concurrencés sur leur propre terrain. Ce discours qui s’en prend, dans les facultés de médecine, aux « métèques », en particulier à travers « L’étudiant français » (le périodique des jeunes maurrassiens), rencontre un indéniable succès et les banquets médicaux organisés par l’AF réunissent 700 participants en 1933 et 1500 en 1935, tandis que « Le médecin » apparaît comme un organe mensuel « corporatiste » de l’AF. A écouter la communication de madame Vergez-Chaignon, il semble bien que, plus que le royalisme, c’est un certain nationalisme de « défense », voire d’exclusion, qui prévaut parmi les médecins : mais, sans doute faut-il relativiser pour ce qui est de la province, où existe un royalisme de notables moins marqué par les idées « parisiennes » et dont Pierre Mauriac (frère de l’écrivain François Mauriac) est le parfait exemple à Bordeaux.
Les milieux militaires peuvent constituer pour l’AF un « vivier » mais, malgré son rayonnement certain, elles n’arrive pas à le capitaliser et elle sera toujours concurrencée par d’autres mouvements moins activistes, comme la Fédération Nationale Catholique du général de Castelnau ou les Croix de feu du colonel de la Rocque, ainsi que le signale Olivier Forcade. D’ailleurs, malgré la mise en avant de la figure de Jeanne d’Arc, qui symbolise à la fois la synthèse entre catholicisme et politique, entre le rôle militaire, le sens de la patrie et du sacrifice, et le sacre royal, l’AF échoue à faire des militaires des monarchistes, et cela malgré la présence dans son rang d’officiers libérés de l’astreinte militaire et du devoir de réserve comme Bernard de Vesins, le « colonel-comte », ou l’amiral Schwerer qui sera président de la Ligue d’AF dans les années 30. Certes, de nombreux officiers lisent le quotidien (y compris après la condamnation pontificale, comme Philippe Leclerc de Hautecloque, le futur maréchal
) et donnent même des conférences dans les cercles proches de l’AF (comme le colonel de Gaulle, futur général
). Mais l’AF n’est jamais apparu comme « le » mouvement politique de l’armée, sans doute parce qu’elle fait peur à des militaires attachés à « l’unité » de la nation que ne peut représenter à leurs yeux un mouvement antirépublicain.
La très riche communication d’Olivier Dard sur « l’AF et les milieux économiques » mériterait à elle seule un grand article : la résumer est une tâche d’autant plus difficile
Selon M. Dard, l’AF possède un discours clair en politique, ce qui n’est pas forcément le cas en économie, à laquelle Maurras ne consacre que 5 pages dans son « Dictionnaire politique et critique » et pour laquelle il avoue une certaine indifférence ou, plutôt, un moindre intérêt, au point d’avouer en 1936 dans « Nos raisons
» un certain échec de sa part à penser l’économie, car l’essentiel est, d’abord, de changer le cadre politique. Certes, il y a l’antilibéralisme, l’intérêt pour la question sociale, le corporatisme, mais, sur la question du capitalisme économique, le choix n’est pas net : faut-il rompre, ou non, avec lui ?
Au début des années 20, Georges Valois va essayer d’ancrer l’AF dans le monde économique et social par ses différentes initiatives qui font preuve d’une véritable originalité et d’une grande adéquation avec le temps : mais, malgré les débuts encourageants d’une structure contrôlée par l’AF, la CIPF (Confédération de l’Intelligence et de la Production Française) et l’organisation des « Semaines » et des « états-généraux » par Valois, c’est l’échec, en particulier après le départ de leur principal animateur qui ne sera pas vraiment remplacé.
Dans les années 30, les écrits économiques de Jacques Bainville connaissent une certaine consécration (publication de « Fortune de la France ») mais n’ont pas de grande originalité sur le plan de la pensée économique.
Ainsi, le bilan de l’AF dans sa tentative de pénétration des milieux économiques apparaît globalement négatif, malgré les initiatives originales (mais sans lendemain) de Valois et les tentatives, durant la période vichyste, de deux jeunes maurrassiens critiques, Jean-François Gravier et Louis Salleron. Quant à la Charte du Travail édictée par l’Etat Français, elle est très éloignée de ce que voulait l’AF.
Ainsi, on constate, au terme de cette étude des rapports entre l’AF et les milieux sociaux que l’influence réelle du mouvement royaliste doit être réévaluée, mais plutôt à la baisse, et la condamnation papale de 1926 apparaît plus alors comme un révélateur et un accélérateur de l’affaiblissement du poids politique de l’Action Française qu’on aurait pu le soupçonner à l’origine
allez-y absolument!!!
Rédigé par : Tosk | 29 mai 2007 à 21:56
Aujourd'hui dans notre village global, l'Economique prime le Politique en tout. Les rares pays qui appliquent le "politique d'abord" font le malheur de leur peuple (derniers pays staliniens) ou attisent un feu de paille qui débouche soit sur la misère et la banqueroute soit sur la contre-révolution (Chili, Vénézuéla, Bolivie).
Il existe encore un théâtre politique d'ombres chinoises qui ne trompe plus grand monde et qui coûte cher.
L'AF n'a jamais été en recherche sur cet axe.
Rédigé par : Catoneo | 30 mai 2007 à 23:00