Le dernier roi à avoir régné sur l’Afghanistan, Mohammed Zaher Shah, est décédé au début de la semaine à Kaboul, au moment même où ce pays est en proie à une nouvelle guerre civile et à l’échec des troupes occidentales à juguler les fameux talibans amis et protecteurs de Ben Laden.
Il avait suivi une partie de ses études en France, au lycée Jeanson-de-Sailly (ce qui explique sa très bonne maîtrise de notre langue), et était monté sur le trône en 1933 : c’est sous son règne que l’Afghanistan, alors encore féodal, avait commencé sa modernisation, en particulier dans le domaine des droits des femmes, jusque là cantonnées sous la burqa traditionnelle. Il avait favorisé l’ouverture au monde de son pays en soutenant les jeunes femmes (d’abord des filles de ses ministres ou de sa famille) qui se promenaient, au grand scandale des imams locaux, tête nue, cheveux au vent. Mais il fut renversé en 1973 par son cousin Daoud, sorte de Philippe-égalité afghan, qui établit une République qui ne cessa alors d’aller de crises en guerres civiles, avec l’intervention des troupes soviétiques en 1979, l’arrivée des talibans au pouvoir dans les années 90 et leur chute à l’automne 2001
Revenu en Afghanistan en 2002, il faillit redevenir roi, comme le souhaitaient la Loya Jirga (assemblée traditionnelle des chefs de tribu du pays) et l’actuel président, Hamid Karzaï, ainsi que l’ONU qui l’avait qualifié de « roi de la paix » : mais les Etats-Unis ne voulurent pas de cette solution qui, pourtant, garantissait aux Pachtounes, principale ethnie du pays mais aussi très favorable aux talibans, de ne pas être « marginalisés » par l’intervention des troupes étrangères depuis 2001, et qui aurait évité de retomber dans la guerre civile. Certes, l’ancien monarque reçut le titre honorifique de « Père de la nation afghane » mais la nouvelle République ne parvint pas, elle, à se créer une légitimité que le roi avait retrouvé de par sa simple présence et la nécessité de sortir du conflit, par le fait qu’il apparaissait comme le « trait d’union » possible entre les ethnies du pays, toutes jalouses de leurs particularités et n’ayant de « point commun » que la fidélité au roi, beaucoup plus qu’à une « nation » dont le terme même ne leur évoque pas grand-chose
En empêchant sa montée sur le trône au nom de considérations pas vraiment claires, si ce n’est un « républicanisme » plus idéologique que pragmatique, les Etats-Unis ont commis la même faute qu’avec Charles de Habsbourg, puis avec son fils Otto, en Autriche et en Hongrie après la Première Guerre mondiale
On en connaît les suites tragiques pour l’Europe danubienne et, au-delà, pour l’Europe toute entière au cours des années 30-40
Les Etats-Unis n’avaient pas, ensuite, commis la même faute avec le Japon vaincu en 1945 dont ils maintinrent l’empereur Hiro-Hito, conscients qu’il pourrait faire accepter ce qu’une République, n’ayant pas de légitimité historique propre, aurait échoué à faire admettre. Mais, en Afghanistan comme en Irak, M. Bush a raisonné en termes de « morale » et non en termes de « politique » : les Afghans, comme les Irakiens, en paient le prix et n’ont pas fini de payer
Du mausolée où il a rejoint son père et qui surplombe Kaboul, Zaher Shah Père de la nation afghane apparaît comme le symbole d’une paix qui aurait pu être s’il n’y avait eu l’aveuglement des Etats-Unis et le triomphe, en fait bien vain, de leur « morale »
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