Je suis en train de travailler mes prochains cours sur le thème de la Seconde révolution industrielle, thème largement entamé cette semaine avec mes élèves de Première ES, et je m’aide de quelques lectures, sinon iconoclastes, du moins « non conformes » au regard de « l’esprit de l’Education nationale »
En effet, je n’hésite pas à intégrer les réflexions de Marx (classique
), mais aussi (moins classique dans l’école de la République) celles de Bernanos, Jack London, Simone Weil et La Tour du Pin au fil de mon cours lui-même. En fait, il ne s’agit pas de provocation mais simplement de mise en valeur d’autres pensées que celles aujourd’hui dominantes en France, ces dernières me semblant incomplètes pour bien comprendre les enjeux historiques comme contemporains. Tout comme j’évoque la question agricole dont les manuels actuels d’Histoire « oublient » la « révolution » (ou « modernisation », sans donner de valeur morale à ce terme) agricole, se contentant d’évoquer brièvement la mutation des sociétés rurales
Doit-on y déceler une volonté délibérée de marginaliser les campagnes, y compris dans le cadre historique du XIXe siècle, comme si celles-ci n’étaient pas « présentables » au regard d’une Histoire écrite d’abord et surtout par des urbains, par des héritiers des « Lumières » dont on sait qu’elles n’aimaient guère les paysans ni les notables ruraux ?
Je constate que, même si les professeurs gardent une grande liberté pédagogique dans la manière de traiter les questions des programmes scolaires d’histoire, liberté dont ils ne se lassent heureusement pas, ces mêmes programmes sont parfois fort représentatifs des « valeurs » que la République démocratique à économie libérale cherche à faire accepter par tous, plus ou moins de bon gré
Ainsi, il n’est pas étonnant que, dans le programme de Seconde, la question de la démocratie ne soit abordée que sous la seule lumière de « l’imparfait modèle athénien », en négligeant de présenter, ne serait-ce qu’en quelques lignes, les autres types de régime antique s’approchant ou se revendiquant de l’égalité ou de la démocratie comme Sparte ou Rome
Ne s’agit-il pas, par ce choix particulier, de trancher, en faveur de la « démocratie libérale » dont la cité thalassocratique d’Athènes serait la première tentative approchante, au détriment du modèle spartiate, à la fois plus égalitaire et autoritaire (en fait, une oligarchie rigoureuse et austère), modèle qui tentait plus Robespierre que Barnave par exemple ? Ne s’agit-il pas, par le choix des autres thèmes du programme de Seconde, de montrer que la démocratie dans laquelle nous vivons est l’achèvement d’un processus entamé il y a 2500 ans, processus inexorable menant à une véritable « fin de l’Histoire » dont nous serions les contemporains ? En somme, de démontrer qu’il n’y a qu’un sens à l’Histoire, un « sens unique » dont celui qui s’écarterait serait un ingrat ou un dangereux « antidémocrate » ?
Les jeunes monarchistes de l’Action Française avaient, l’an dernier, collé de multiples affiches dénonçant la « matrice républicaine » : les programmes d’histoire en sont l’un des plus parfaits exemples. Mais l’Histoire ne se laisse pas facilement réduire à un simple discours moral, ni à un « programme » quel qu’il soit
C’est aussi pour cela que j’incite mes élèves à la meilleure antidote qui soit face à l’embrigadement officiel (et à tous les autres, d’ailleurs) : la curiosité
Je dois avouer que, pour mon compte personnel, j’ai plus appris dans la bibliothèque de mes parents (historiens eux-mêmes) ou dans les cours décomplexés de mes profs de fac que sur les bancs du lycée, à quelques exceptions près
Je n’en veux d’ailleurs pas à mes professeurs de secondaire mais bien plutôt à un système qui s’inquiète toujours que la liberté qui est inscrite sur les frontons des mairies et des écoles de la République ne devienne ce grand souffle qui, une fois ordonné à l’esprit, dévaste les « grands principes » fondateurs et alibis de la Nouvelle Féodalité contemporaine, « démocratique et consumériste »
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