La commémoration de la mort du jeune Guy Môquet dans tous les lycées de France à travers la lecture de sa dernière lettre a soulevé une vaste polémique au sein du corps professoral, pour des raisons fort diverses et qui ne tiennent pas toujours à l’Histoire elle-même. Personnellement, j’ai fait lire cette lettre par une élève, jeudi dernier, n’ayant pas cours ce lundi 22 octobre : mais je ne me suis pas contenté de cette simple lecture, j’en ai profité pour aborder avec les quinze lycéens de cette classe le contexte et les enjeux historiques de la Résistance, et les éléments de la polémique née de la décision présidentielle.
Tout d’abord, j’ai rappelé que Guy Môquet n’était pas, en tant que tel, un résistant mais un otage, ce qui n’a pas exactement ni le même sens ni la même valeur, et qu’il avait été arrêté parce qu’il distribuait des tracts, non pour résister à l’Occupation, mais pour dénoncer le « grand capital » responsable de la défaite et la « guerre impérialiste » menée par l’Angleterre (alors bombardée par la Luftwaffe). A l’époque le Parti communiste, auquel appartenait Guy Môquet et son père (le député Prosper Môquet), n’était pas encore rentré dans la Résistance, le pacte germano-soviétique étant toujours en vigueur et le PCF s’inscrivant dans une logique de sabotage dont l’armée française de 1940 allait faire les frais…
Evidemment, en octobre 1941, les choses ont changé et Guy Môquet, malgré son jeune âge, est fusillé par les Allemands en représailles d’un attentat qui a coûté la vie à un officier des troupes d’occupation à Nantes. Son martyre devient alors un symbole pour un Parti communiste en quête de reconnaissance et soucieux de faire oublier ses compromissions antérieures…
J’ai aussi évoqué à mes élèves la diversité des engagements dans la Résistance dont le point commun était d’abord la résistance à l’occupation allemande : en somme, un réflexe « nationaliste », le refus de l’occupation étrangère, le sentiment qu’il n’y a pas de liberté possible pour les personnes dans une nation asservie. « De toutes les libertés humaines, la plus précieuse est l’indépendance de la patrie » affirmait Maurras…
Dimanche, en terrasse de mon café habituel, sur la place du marché de Versailles, je relisais quelques pages du livre écrit par François-Marin Fleutot, « Des royalistes dans la Résistance », livre qui rappelle quelques figures de résistants dont Honoré d’Estienne d’Orves, premier officier de la France Libre à être fusillé pour faits de résistance, le 29 août 1941, et qui écrivait, quelques jours avant sa mort, en condamnant l’antisémitisme des journaux parisiens : « On parle beaucoup dans les journaux d’une certaine catégorie de nos concitoyens ; ces attaques, quoiqu’elles soient maintenant bien vues des autorités, ne diffèrent guère de ce qu’on lisait autrefois dans les journaux d’extrême droite. (…) Mais notre fierté d’être français est basée sur la conscience de nos droits, sur les souvenirs de notre histoire, et non sur la conscience d’une supériorité innée. Ce ciment qui nous unit, ce n’est pas la race, c’est la nation constituée au cours des siècles, avec au départ des races différentes. C’est un ciment de la raison, qui est de devenir celui du cœur et qui n’en est pas moins fort. » Un texte à méditer, me semble-t-il…
Pour revenir sur la polémique née de la lecture dans les lycées de la lettre de Môquet, il faut bien avouer que certains enseignants ont montré là le peu de cas qu’ils font de la France, qu’ils jugent parfois « dépassée » au point d’en nier la fonction « médiatrice » et « fédératrice » des habitants de cet espace territorial né de l’Histoire. Ce que résumait à sa manière un de mes amis serveurs au « franco-belge », mon refuge habituel du soir, en me faisant remarquer qu’il vibrait plus pour la France, lui qui n’est « que » résident (selon ses propres termes) et est né au Maghreb, que beaucoup de « Français de souche » qui se veulent « Européens » et ne pensent qu’à dénigrer leur pays de naissance et d’éducation au nom d’un modèle « efficace » qui n’a rien à voir avec nos traditions particulières, celles qui font notre charme et qui attirent, d’ailleurs, de nombreux intellectuels (entre autres) du monde entier…
Par contre, je rejoins ceux de mes collègues qui craignent, au-delà de la lecture de la lettre, l’établissement (ou, plutôt, le rétablissement) d’une « Histoire officielle » qui, à travers les « lois mémorielles », gênent, non seulement la recherche historique mais aussi la liberté d’enseigner en imposant des thèmes et des concepts « historiquement corrects » : les manuels en portent souvent la marque, héritiers en cela de la IIIe République « républicanisante » qui avait donné comme mission à l’Ecole de faire de « bons petits républicains »… Mais demain n’est pas très rassurant, comme le souligne un article du « Figaro » publié le lundi 15 octobre dernier : l’association Liberté pour l’Histoire « vient de découvrir l’existence d’une directive européenne, prise sur le modèle des lois mémorielles en France, et qui doit s’appliquer à l’ensemble des législations européennes. Un pas de plus vers cette Histoire officielle dont les historiens français espéraient se libérer… ». Puisqu’il est question de résistance dans cette note, sans doute faudra-t-il la pratiquer, non dans le drame et les affres d’une guerre, mais dans le cadre du débat public et politique.
La mémoire nationale construite par le parlement français et maintenant par le parlement européen. A part quelques historiens peu de nos concitoyens s'intéressent à notre Histoire et quant à vibrer pour la France, c'est malheureux à dire mais ce sont parfois des immigrés qui "vibrent" pour elle et qui sont fiers d'être devenus français!
Rédigé par : klaus | 22 octobre 2007 à 22:07