Depuis quelques jours, pêcheurs, routiers et agriculteurs manifestent devant les dépôts de pétrole et les raffineries pour protester contre la hausse des prix du gazole qui affecte durement leurs activités. Leurs revendications immédiates portent sur la baisse du prix du gazole par une limitation des taxes prélevées par l’Etat ou par la redistribution d’aides « au litre », ou d’autres propositions qui, en définitive, ne sont que des solutions à court terme qui ne répondent pas exactement aux enjeux de demain. Ce qui frappe dans ces revendications, c’est l’absence de prise en compte (et d’évocation) d’une réalité de plus en plus prégnante pourtant dans notre monde, c’est l’épuisement des ressources (non renouvelables) pétrolières qui pourtant est l’un des premiers éléments à saisir pour pouvoir se projeter dans l’avenir. Il est tout à fait vrai que, pour le chauffeur routier qui vit des kilomètres roulés dans l’année ou pour le pêcheur qui ne peut plus sortir en mer parce que le prix du carburant l’étrangle, les considérations apparemment lointaines sur la raréfaction de l’or noir n’ont guère d’effet, ce qui n’est pas vraiment anormal mais qui, à plus ou moins long terme, est dangereux.
Aussi, il est deux niveaux de réaction à traiter, et l’un ne doit pas faire oublier l’autre, au risque de terribles chocs à venir, tôt ou tard, pas si tard que cela, d’ailleurs…
Premier niveau : le présent immédiat, ou comment aider dans l’urgence des professions menacées concrètement par la hausse actuelle du gazole ;
Deuxième niveau : le plus long terme, ou comment sortir du « tout-pétrole » tout en maintenant des activités de transport et une certaine fluidité des circulations de personnes et de marchandises.
Pour répondre à la problématique du premier niveau, sans doute faut-il jouer, pour les routiers, sur une baisse, non pas des taxes sur le gazole (ce qui serait contre-productif et nuirait aux enjeux du deuxième niveau), mais des tarifs ferroviaires et fluviaux pour permettre aux entreprises de transports de répondre aux demandes de leurs clients sans trop en supporter le coût et en évitant de faire jouer la concurrence en faveur du « moins-disant social » (délocalisation des entreprises de transports, recrutement d’une main d’œuvre étrangère beaucoup moins payée et beaucoup plus corvéable à merci, etc.). Si l’Etat doit débourser de l’argent, encore faut-il que cela ne soit pas en pure perte mais représente un investissement pour demain : en permettant aux routiers de faire appel plus fréquemment au ferroutage, cela bénéficie autant à la SNCF (ou à d’autres entreprises de transport ferroviaire) qu’à ceux-là, en limitant l’impact de la hausse des carburants sur leur trésorerie. Un inconvénient cependant : la mise en place d’une « politique d’aide au ferroutage » risque de prendre du temps (quelques mois, voire quelques années) pour des raisons techniques comme organisationnelles. Que faire durant ce délai qu’il faut diminuer le plus possible ? Abaisser les taxes serait suicidaire au moment où le déficit français continue à se creuser. Penser à un impôt supplémentaire de « solidarité » pour soutenir les activités dépendantes des prix du pétrole ? Cela ne serait guère populaire dans une opinion qui grogne déjà devant l’effritement de son pouvoir d’achat, nouvelle « vache sacrée » de notre société de consommation… D’autre part, notre enchaînement à l’Union européenne rend délicat toute politique fiscale ou d’aide aux entreprises, désormais dépendante du bon vouloir de la Commission européenne, prompte à condamner toute « atteinte à la libre concurrence », quel qu’en soit le prix social…
Sans doute faut-il alors instituer une forme de « prêts aux usagers professionnels des produits pétroliers », à taux zéro, qui puissent leur être délivrés immédiatement par les banques ou l’Etat, avec un remboursement progressif après une durée à déterminer selon les secteurs considérés, et les investissements dans les infrastructures et les techniques de « transports aidés » évoqués plus haut et brièvement rappelés ci-après.
Pour répondre à la problématique du long terme, il me semble utile d’envisager une nouvelle organisation des circulations dans notre pays, sans négliger la dimension outre-nationale des réseaux de flux de transports, et « relocaliser » une partie des productions aujourd’hui implantées dans des pays lointains à moindre coût de main d’œuvre. Ne pas négliger aussi l’aménagement des territoires, important pour permettre une meilleure proximité des différents services et activités et, donc, une meilleure maîtrise des circulations tout en les limitant dans les meilleures conditions possibles. Un travail de promotion et de généralisation du ferroutage mais aussi de la « fluvialisation » et des « autoroutes de la mer » (en fait, le long des littoraux, reprenant ce que l’on nommait jadis le « cabotage » mais sur des distances plus longues et avec des étapes plus éloignées les unes des autres qu’avec cette ancienne pratique) me semble nécessaire mais ne peut se concevoir que par un véritable engagement et investissement (et organisation, voire planification) sur le long (voire très long) terme : notre Etat aura-t-il le « souffle » suffisant pour tenir la distance sans perdre le cap, celui d’une meilleure maîtrise énergétique et d’une autre société, moins consommatrice et plus sobre (sans tomber dans l’austérité qui ne sied pas à tous les hommes) ? Le « temps démocratique » qui contraint parfois l’action de l’Etat aux exigences et aux pressions des groupes financiers, médiatiques ou simplement des opinions et des consommateurs-citoyens (pas toujours rigoureux dans le civisme et la prise en compte des nécessités du jour pour prévenir l’avenir…), peut-il permettre une telle ambition, pourtant fondée sur les intérêts des générations présentes et à venir ?
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