C’était un beau mardi de septembre. J’étais rentré au milieu de l’après-midi à Autouillet et je m’étais reposé dans le jardin, un bon livre entre les mains, sans me soucier du monde tel qu’il allait, et récupérant de ma journée de cours aux Mureaux… Comme tous les soirs, à l’approche de 19 heures, j’ai allumé la radio, France-inter, pour suivre, comme d’habitude, les infos du soir et « le téléphone sonne », émission que j’affectionnais alors particulièrement et souvent très instructive.
Tiens, comme c’est étrange, ai-je pensé alors : pourquoi, alors qu’il n’est pas 19 heures, l’animateur de l’émission est-il déjà à l’antenne ? Apparemment une émission spéciale sur la Palestine : sans doute encore un attentat ou un drame dans cette partie du monde si compliquée et conflictuelle… Mais il est question d’avions, de détournements et d’un espace aérien états-unien totalement fermé : je n’y comprends rien, les journalistes sont embrouillés, troublés. Ah si, il s’agit d’une vague d’attentats aux Etats-Unis qui vient de se dérouler quelques heures auparavant et qui n’est peut-être pas terminée.
Surpris et un peu incrédule, j’appelle Hermine et ressors d’un placard un petit téléviseur : les premières images me sont incompréhensibles, sans doute parce que ces tours ne me disent rien. Et puis, il y a, lentement, cet avion que j’aperçois derrière elles, il semble tourner doucement, souplement, glissant sur l’aile : et, tout d’un coup, une boule de feu contre une tour…
Je reste devant le téléviseur durant une bonne heure, au point de manger avec Hermine face à l’écran (chose fort inhabituelle) et, peu à peu, je saisis le déroulement de cette journée terrible du 11 septembre 2001…
C’était il y a sept ans, l’entrée dans le XXIe siècle, le retour d’une Histoire qui, en fait et contrairement à ce que pensait Francis Fukuyama, ne s’est jamais finie et ne peut finir, de par l’essence même des hommes et des sociétés. C’était aussi la victoire terrifiante de la société du spectacle, avec cet étonnant sens de la mise en scène : le premier avion contre une tour du World Trade Center, véritable « produit d’appel » qui oriente en quelques minutes toutes les caméras et, donc, tous les regards vers les tours, alors que bientôt le deuxième avion arrive et heurte de façon spectaculaire et inattendue la tour encore indemne. Le but du terrorisme est d’impressionner, et le plus grand impact de son action est celui qu’il a sur l’Opinion publique. Dans notre société, qui valorise étrangement la formule de saint Thomas de ne croire que ce qu’il voit, le 11 septembre est un coup, terrible, de maître. Il serait bon de se poser la question de savoir si, en définitive, la principale faiblesse de nos sociétés n’est pas cette transparence qu’elles revendiquent, au nom de l’information et du « droit de savoir », et qui empêche de discerner distinctement en même temps les vrais problèmes et leurs sources, moins visibles parce que moins « spectaculaires » : en somme, le spectaculaire est la « distraction » qui détourne les regards et, surtout, la pensée des spectateurs…
Pendant ce temps, n’est-ce pas une certaine forme de cryptocratie, forcément discrète (c’est son principe premier), qui peut (sans conspirer) organiser le jeu, ou au moins une partie importante de celui-ci, ou, plus exactement, tirer parti de ce qui survient, parfois pour le pire ? Je me méfie des mythes conspirationnistes (en particulier sur le 11 septembre qui permet toutes les supputations et tous les délires…) et je ne crois pas que les complots mènent le monde, mais je ne méconnais pas que les grandes entreprises financières trouvent leur compte dans une société du spectacle qui, tout compte fait, leur assure a contrario une certaine discrétion.
Là encore, un véritable retour du politique est nécessaire pour faire pièce aux nouvelles féodalités, visibles ou pas, quelles que soient leurs formes, et, tout en sachant « raison garder », répondre aux terrorismes en asséchant certaines de leurs sources…