La crise financière a commencé il y a déjà plus d’un an, le 9 août 2007, et elle n’a pas fini de faire sentir ses effets sur l’économie mondiale. Dans un entretien paru dans « Le Monde » (9 août 2008), Jacques Attali, dont j’ai déjà eu l’occasion de traiter ici sans beaucoup de délicatesse, développe néanmoins quelques propos intéressants qu’il serait maladroit de négliger : « Cette crise a démontré qu’on ne pouvait pas laisser la finance se réguler elle-même. Le système financier a été un instrument génial pour organiser la globalisation, le transfert depuis les pays qui ont de l’épargne vers les pays où investir.
La titrisation [une innovation financière qui a permis aux banques de transférer les risques de crédit aux marchés] en a été l’un des outils. Mais à partir du moment où il n’a plus été au service de l’économie de marché mais au service de lui-même, pour réaliser des profits, le système a dérapé et il n’y avait personne pour l’en empêcher. » Ainsi, Attali semble reconnaître que la « main invisible », si nécessaire au raisonnement libéral en économie, n’est pas pour autant vertueuse et ne tend pas naturellement au bien commun, sans doute parce que limiter l’économie à elle-même, en faire une fin quand elle ne devrait être qu’un moyen, c’est la laisser à ses seuls principes de profit et d’efficacité. Or, l’économie sans conscience sociale, sans garde-fou institutionnel au service des personnes, c’est le déni de tout humanisme, de toute justice sociale. Ainsi je vais, dans mon propos, beaucoup plus loin que M. Attali qui, lui, ne met pas vraiment en cause les principes de l’économie de marché, même quand ils dégénèrent en abus qu’il attribue au seul système financier quand, à mon avis, le mal est beaucoup plus profond.
Néanmoins, on ne peut qu’approuver son propos quand il écrit : « Le plus vraisemblable est que le système s’en tirera en reportant sur d’autres le solde de ses erreurs.
Nous sommes au moment où l’on commence à faire payer le contribuable par des nationalisations directes ou indirectes comme au Royaume-Uni (…), ou comme on s’apprête à le faire aux Etats-Unis (…).
Les épargnants pourraient payer la facture via l’inflation, qui dévalorisera leurs créances et donc leur patrimoine. » Il me semble qu’on est en plein dedans, avec la semi-nationalisation de Fortis au Benelux, par exemple…
Mais est-il normal que, au-delà des épargnants eux-mêmes, tous les contribuables doivent aussi payer pour réparer les conséquences des choix désastreux ou des spéculations des grandes banques d’affaires ?
En fait, cela ne serait pas choquant si l’Etat était sûr de récupérer sa mise, voire d’en tirer quelques bénéfices qui serviraient ainsi au bien commun national, mais là encore, rien n’est sûr, et il semble que certains financiers ne voient en ces mesures que le moyen de s’éviter le pire…
Ce qui est certain, c’est que les mesures de nationalisation prises dans l’urgence risquent de se heurter d’ici quelques temps aux « rappels au règlement » de l’Union européenne, plus libérales (au sens purement économique) encore depuis le traité constitutionnel de Lisbonne : les Etats oseront-ils s’opposer alors à la gardienne inflexible de l’ordre eurolibéral qu’est la Commission européenne ? A moins que la dite Commission ne comprenne enfin que les dogmes ne valent rien face aux réalités et que la meilleure stratégie peut parfois être de « contourner » les grands principes, voire de les oublier… L’épreuve de vérité approche-t-elle ?
En tout cas, le feuilleton de la crise, avec sa dramaturgie et ses rebondissements, son rythme endiablé, continue : la suite au prochain épisode…
Juste un commentaire pour insister sur le rôle de la dissociation entre capital et travail dans la crise financière comme je l'explique dans mon article.
En effet, l'économie traditionnelle-ou économie réelle de proximité- s'appuie bien sur un certain capitalisme entrepreneurial...dont l'enrichissement ne se fait que sur la base de l'activité (et non de la spéculation) et profite à tous, au sein d'un territoire défini.
Rédigé par : JEAN DU TERROIR | 01 octobre 2008 à 10:07
Juste une remarque...
Le principe de la main invisble que vous évoquez reprenant ainsi Adam Smith est soutenu par les économistes libéraux qui voient en ce dernier un moyen de faire coïncider l'intérêt particulier avec l'intérêt général de telle sorte que l'économie parvienne à un équilibre (pour paraphraser keynes) or cela n'est nullement vérifié dans la réalité. Cette conception libérale critiquable, que les néoclassiques qui succédèrent à Adam Smith eurent l'occasion d'approfondir avec les théories de l'équilibre et qui furent elles aussi contestées très fortement, étant jugée trop mathématiques et dépendant de trop de paramètres (le mythe de la concurrence pure et parfaite), a mené les Etats à intervenir de façon contra-cyclique sur l'économie. Mais là aussi, a résidé un problème: "trop d'intervention tue l'intervention" ce qui put être constaté au cours des années 1970. Dès lors, les Etats se mirent à s'opposer aux tendances inflationnistes de l'économie, et surtout A LA LIBERALISER de façon à ce que les vieux démons du passé ne resurgissent pas. Enfin, j'imagine que vous savez déjà tout cela.
Seulement si les marchés financiers ont été fortement libéralisés, c'est qu'il y avait des raisons à cela. Et je pense que toute analyse radicale sur la finance se doit d'être nuancée, tant elle a la capacité d'apporter à l'économie d'un pays les capitaux nécessaires à son développement.
Un constat est inévitable: les crises financières sont devenues fréquentes, et je ne parle pas uniquement des subprimes, mais également des crises qui eurent lieu dans les pays émergents (Brésil, Argentine, Mexique...). De ce fait, la question de la règlementation de la finance, qui, lorsqu'elle a des conséquences néfastes pour l'économie comme c'est le cas actuellement, est inévitable. D'ailleurs, je ne cherche pas à remettre cela en question : est-ce normal que l'ensemble de la société doive payer pour les fautes d'un petit nombre (qui a, en général, les poches bien remplies)?
Le problème, comme je tiens à la faire remarquer, c'est qu'une action unilatérale, de la part d'un gouvernement (voire d'un ensemble de gouvernements tel que l'UE) serait, non seulement inefficace, mais aurait surtout tendance à faire fuir nombre de capitaux, parfois même européens! Le risque, c'est que la crise prenne une autre tournure dans ce cas là. Aussi ne faudrait-il pas déplacer la question de la régulation de la finance à l'échelle globale? N'est-ce pas par une coopération globale, comme le préconise la théorie des jeux, que le problème peut être résolu?
Le souci, c'est que ce sont les mêmes personnes qui ont un intérêt à ce que la finance reste libéralisée qui sont à la tête des gouvernements du monde entier...
Rédigé par : Un ancien étudiant | 01 octobre 2008 à 16:40