Je poursuis mes cours sur « les révolutions industrielles » et je ne cesse de lire des articles et d’emprunter ou d’acheter des livres sur le sujet pour compléter mon propos ou l’amender : je trouve ce thème passionnant à l’heure où notre société doit affronter une vaste crise financière qui est aussi une transition vers un monde nouveau dont je ne suis pas certain des contours mais qui m’apparaît fort différent de celui dans lequel nous évoluons aujourd’hui encore.
Une de mes sources de réflexion (mais pas la seule) est constituée par les articles de l’essayiste Pierre Debray, bien oublié désormais (sans doute à tort), « monarchiste de raison et républicain de cœur » comme il se définissait lui-même, qui, au-delà d’un mauvais caractère légendaire, avait le mérite d’explorer des terrains souvent originaux dans la France des années 50-70 en s’appuyant sur la méthode maurrassienne et sur des textes de théoriciens alors trop peu lus et souvent mal compris en France, comme Lewis Mumford (auteur de « Technique et civilisation ») par exemple. C’est ainsi que j’ai découvert la vraie « révolution copernicienne » opérée par Henry Ford au début du XXe siècle, comme l’explique Debray : « Ce sera un (…) « roi de l’automobile », Ford Ier, qui accomplira la véritable révolution du XXe siècle, Lénine ou Hitler n’étant que des épiphénomènes régressifs, qui bloquent le progrès technique [assertion avec laquelle d’ailleurs je ne suis pas entièrement d’accord, le totalitarisme ayant parfois joué le rôle d’un accélérateur des mouvements techniques, ne serait-ce que pour des raisons idéologiques et militaires], alors que Ford Ier crée la possibilité de son développement. Le premier, il comprend qu’à la production de masse doit correspondre la consommation de masse. Il va donc décider d’augmenter les salaires de ses ouvriers (…). Il n’agit pas en « patron social ». Aucun souci philanthropique ne l’anime. Seul le guide la considération cynique des intérêts de l’entreprise. Il faut que ses ouvriers aient des ressources suffisantes pour acheter les automobiles qu’ils fabriquent. Un système de prix de faveur et d’épargne-crédit va permettre au système de fonctionner (…).
Le « fordisme » (…) implique la généralisation du crédit à la consommation, réservé jusqu’alors à certains produits de luxe, avec l’instalment system, la vente par mensualité. D’où un développement rapide de la production dans les secteurs de pointe : à l’époque, l’automobile, les postes de radio, l’électro-ménager. Les entreprises sont obligées, pour satisfaire la demande, d’investir des capitaux considérables que l’auto-financement ne leur permet pas de se procurer. Il leur faut emprunter. A la production et à la consommation de masse correspond l’épargne de masse. » D’où un développement de l’épargne populaire de masse mais aussi d’une spéculation élargie aux couches sociales les plus diverses qui sert surtout les intérêts des financiers : « L’achat d’actions à crédit, fructueux à court terme, enrichit les banquiers qui placent l’argent de leurs clients en leur faisant payer le loyer, donc prennent le bénéfice en évitant le risque. » Ecrites dans les années 70, ces lignes prennent aujourd’hui une drôle de sonorité, comme un goût d’actualité… Toute ressemblance avec des événements existant ou ayant existé serait-elle si fortuite que cela ?... Surtout en ses autres lignes qui complètent les précédentes : « Il suffisait d’un accident pour que s’effondre le château de cartes. » Y sommes-nous désormais (à nouveau, au regard de 1929), sachant qu’une crise telle que celle qui se déploie actuellement sous nos yeux peut aussi être l’accouchement d’une « nouvelle réalité » dans laquelle l’ordre des puissances se trouve bouleversé ou, du moins, ébranlé et menacé ?
Beaucoup de questions qui nécessitent des réponses ou des précautions…
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