Je suis en train de préparer les études de documents pour les Devoirs surveillés de Seconde et de Première des deux prochaines semaines et, sur certains thèmes, le choix n’est pas facile, eu égard à la masse de documents écrits comme iconographiques. Mais certains documents du programme d’histoire de Première rejoignent étrangement (quoique, est-ce si étrange que cela ?…) ceux du programme de géographie de Seconde, en particulier ceux qui concernent la situation des prolétaires des pays en cours d’industrialisation au XIXème-début XXème siècle et ceux qui témoignent de la situation actuelle de certains pays du Sud.
Ainsi, ce texte d’un de mes écrivains préférés (que j’ai véritablement découvert il y a onze ans grâce à H.), Jack London, extrait de ce livre-reportage « Le peuple de l’abîme » qui décrit les bas-fonds de la capitale du monde industriel d’alors, Londres, en 1902, au moment même du couronnement du successeur de la reine Victoria, Edouard VII, texte qui n’est qu’un exemple parmi d’autres et que l’on pourrait rapporter à d’autres lieux mais aussi à des temps si proches qu’ils pourraient bien être, malheureusement, contemporains : « Cinq minutes de marche [à Londres] vous conduiront à un quartier sordide. Mais la région où s’engageait ma voiture n’était qu’une misère sans fin. Les rues grouillaient d’une race de gens complètement nouvelle et différente, de petite taille, d’aspect miteux, la plupart ivres de bière. Nous roulions devant des milliers de maisons de briques, d’une saleté repoussante, et à chaque rue transversale apparaissaient de longues perspectives de murs et de misère. Cà et là, un homme ou une femme, plus ivre que les autres, marchait en titubant. L’air même était alourdi de mots obscènes et d’altercations. Devant un marché, des vieillards des deux sexes, tout chancelants, fouillaient dans les ordures abandonnées dans la boue pour y trouver quelques pommes de terre moisies, des haricots et d’autres légumes, tandis que de petits enfants, agglutinés comme des mouches autour d’un tas de fruits pourris, plongeaient leurs bras jusqu’aux épaules dans cette putréfaction liquide, pour en retirer des morceaux en état de décomposition déjà fort avancée, qu’ils dévoraient sur place. » N’est-ce pas ce que décrivent, aujourd’hui encore, les associations humanitaires qui travaillent courageusement dans les bidonvilles des grandes villes de l’Afrique et de l’Asie, voire de l’Amérique du Sud ? Un siècle après ce témoignage de Jack London, malgré tous les progrès techniques, comment se fait-il que notre monde connaisse encore de telles situations de misère humaine ?
Jack London incriminait le système capitaliste et avançait des solutions politiques dont il n’a pas vu, mort trop tôt, la réalisation et l’échec final et sanglant… Cela ne me semble pas enlever à l’écrivain le mérite d’avoir témoigné des situations insupportables liées à l’égoïsme de quelques uns et d’un système qu’ils ont bâti, qui ont oublié le sens du partage et de l’entraide : s’il y a urgence à le relire, il y a tout autant urgence à agir pour faire reculer, en notre pays comme ailleurs, les situations inacceptables d’une misère subie. Urgence sociale, urgence politique ! Encore faudrait-il, au sommet de notre Etat, un homme qui porte des valeurs qui, sans forcément être « républicaines », soient celles d’un humanisme conscient et soucieux de n’oublier personne. Bien sûr, il y aura toujours des pauvres dans notre pays, mais il s’agit de ne pas les abandonner, de leur offrir les moyens de sortir, par leur travail et par leurs capacités, de leur situation précaire, sans pour autant en faire des assistés. Vaste programme, mais nécessaire… Mais est-ce une politique « électorale » ou, bien plutôt, un « devoir royal » ?