L’an dernier, j’avais consacré une note au livre de Jean-Marc Jancovici et Alain Grandjean intitulé « Le plein s’il vous plaît ! », livre évoquant le problème de l’énergie et des moyens à envisager pour se libérer des sources d’énergie non renouvelables, c’est-à-dire principalement le pétrole. A l’heure où les produits pétroliers voient leurs prix s’effondrer, au grand dam des partisans d’une moindre consommation de ceux-ci (car des prix bas entraînent un moindre investissement dans la recherche pour pallier à la fin inéluctable du pétrole et de ses nombreux dérivés dans des délais plus ou moins longs, qu’il reste à déterminer), il me semble utile de republier cette note ancienne sur ce petit livre nécessaire et fort instructif :
Cet ouvrage est passionnant car il détaille les éléments du problème et, ne se contentant pas des « yaka », propose quelques solutions concrètes, en particulier la « taxe » sur les produits pétroliers et gaziers, taxe progressive destinée à éviter un choc trop brutal lorsque les échéances seront arrivées, c’est-à-dire lorsque la raréfaction du pétrole entraînera une hausse mécanique et violente des prix, difficile à supporter pour les moins aisés : « L’argument essentiel pour augmenter les taxes est d’éviter des coûts futurs exorbitants, qu’ils soient sociaux (…) ou environnementaux (…). Avec l’argent tiré d’une hausse du prix de l’énergie fossile (de toutes les énergies fossiles – essence et diesel, certes, mais aussi gaz naturel, fioul domestique, kérosène, charbon, et tout le reste), nous pourrions précisément financer des investissements qui aideraient à faire baisser la consommation d’hydrocarbures. (…) Nous pourrions ensuite utiliser cet argent pour aider tous les acteurs économiques (entreprises et ménages) à gérer l’inéluctable modification de l’urbanisme et du système de transport découlant d’une énergie progressivement plus chère. »
Effectivement, taxer, si cela est forcément impopulaire, semble nécessaire pour éviter, ou atténuer, la surconsommation de ressources dont la pérennité n’est plus assurée que pour quelques décennies, un délai qui pourrait se réduire encore si les demandes en énergie des pays en forte croissance (Chine, Inde, etc.) continuent d’augmenter au rythme actuel. D’autre part, les auteurs rappellent qu’il ne faut pas oublier le coût environnemental de la consommation par nos sociétés et ses individus, un coût de plus en plus lourd même s’il semble « invisible » au regard du PIB des pays : « Non seulement la majorité des atteintes à l’environnement ne sont pas comptabilisées dans le PIB, mais elles le font croître, en nourrissant des activités de prédation, ou en engendrant des besoins de dépollution ou de reconstruction qui mobilisent des paires de bras et créent des revenus. » Mais, comme le signalent les auteurs, le simple jeu démocratique ne suffit pas à diminuer les atteintes à l’environnement ou la pression de nos sociétés de consommation sur les réserves énergétiques de la planète : « La démocratie, ce n’est pas nécessairement la voix de la sagesse, c’est celle de la majorité. (…) En démocratie, nous serons perpétuellement insatisfaits de notre sort (…). Un sondage effectué en 2004, par exemple, donnait encore 85 % de nos concitoyens opposés à une hausse volontaire du prix des carburants. (…) La clé du problème se trouve dans la notion même de démocratie (…). La contrainte volontaire en démocratie, s’il n’existe ni sanctions ni pénalisation économique, ne pousse jamais à l’action résolue plus de 1 à 2 % de la population. » Ainsi les discours et les campagnes de sensibilisation ne sont pas encore suffisants pour agir sur les citoyens-consommateurs, « se souciant surtout de consommation, très peu du long terme, tout en reprochant à leurs élus de ne pas s’en soucier plus qu’eux. (…) Totalement obnubilés par notre « droit à consommer sans entraves », nous ne prenons absolument pas le chemin de la réduction volontaire de la consommation de combustibles fossiles ». De plus, laisser agir le seul mécanisme du Marché n’est guère plus probant, par le principe même du système économique actuel : « Comment des industriels pourraient-ils décider par eux-mêmes d’une contrainte significative dans un monde de plus en plus concurrentiel ? (…) Seule la puissance publique peut fixer de telles règles du jeu, conformément au bon sens et aux enseignements les plus solides des économistes ».
Les deux caractères de la politique à mener, selon les auteurs, sont « durée et progressivité ». « Les énergies fossiles doivent devenir de plus en plus chères, et ne jamais redevenir bon marché, du moins avec quelques milliards de consommateurs sur Terre. La durée, cela suppose encore que les élus ne remettent pas en cause cette hausse, et donc que s’installe un consensus au sein de la population, comme dans le cas de notre système de retraites ». Mais est-ce vraiment possible dans une République toujours coincée entre deux élections, qu’elles soient présidentielles, législatives ou régionales, et avec des politiciens qui en appellent plus aux sentiments des consommateurs qu’au civisme des citoyens, c’est-à-dire qui abandonnent le sens même de la volonté politique ? Le « consensus » à établir dépend, à mon sens, d’abord de l’exemple et de l’action de l’Etat et il me semble que l’un des avantages d’une Monarchie héréditaire est de libérer la magistrature suprême de l’Etat des « tendances consommatrices » et de garantir, au moins à la tête de l’Etat, cette durée nécessaire à la pérennisation d’une politique de l’énergie et de l’environnement considérée comme vitale pour assurer l’avenir des générations à venir. Je parle bien sûr d’une « Monarchie à la française », pas seulement constitutionnelle mais « politique et active » : il me semble même que cette double question énergétique et environnementale sera l’un des éléments de légitimation (ou d’échec, d’ailleurs) de la Monarchie dans sa phase d’instauration et d’enracinement…
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