La récente votation citoyenne en Suisse a provoqué un véritable tonnerre de réactions, de joie comme d’indignation, au risque de masquer certains éléments de réflexion soulevés par les résultats inattendus de celle-ci. En fait, cet événement politique a relancé la double polémique sur « le peuple » et « la démocratie », polémique qui, en France depuis le premier tour de l’élection présidentielle de 2002 et le référendum sur le traité constitutionnel européen, rebondit désormais régulièrement sans parfois beaucoup de discernement et de retenue, de part et d’autre !
Car, enfin, de quoi s’agit-il ? De savoir si la démocratie, si la pratique de celle-ci, rejoint le mot et son étymologie connue : « Pouvoir du peuple » ; de savoir si la forme « démocratie directe » est plus, ou moins démocratique que la forme « démocratie représentative » ; mais aussi de savoir ce que l’on met derrière le mot « peuple » et derrière l’expression « pouvoir du peuple » ; de savoir si, en fait, les débats actuels ne traduisent pas, au-delà de la nature de la démocratie, une sorte de « crise de la démocratie » ou, plus encore, la crise de la politique dans nos pays et la mésentente entre ce que Maurras nommait « Pays légal » et « Pays réel »…
Au regard des réactions indignées des gouvernements européens, il semble que la démocratie directe ne soit pas la plus appréciée par les Démocraties occidentales car, en remettant la décision politique aux électeurs eux-mêmes, pourtant théoriquement et constitutionnellement considérés comme source de la souveraineté et de la légitimité démocratique, le risque paraît trop grand pour les élites d’une « brutalité originelle » (ainsi que l’évoquent quelques constitutionnalistes) de la « Vox populi », c’est-à-dire, plus clairement, d’une inadéquation entre les idées des électeurs (en fait de la majorité d’entre eux) et les nécessités de la diplomatie et de l’art de gouverner… La démocratie représentative est censée être le filtre nécessaire aux volontés des électeurs, puisqu’elle limite le champ de la décision des votants à la sélection effectuée par eux de leurs représentants : d’où le poids pris par les partis dans cette forme de démocratie qui prétend ne pas confisquer le pouvoir des électeurs mais le (et les) représenter.
Je ne trancherai pas ici sur la meilleure forme de démocratie (pour autant qu’il y en ait une, ce qui n’est pas forcément impossible) ni sur les contradictions que ce que j’évoque plus haut entraîne au cœur même de la démocratie, dans son esprit comme dans sa pratique. Mais je profite de l’occasion pour rappeler que, sans être un régime parfait (ce qui n’existe d’ailleurs pas, puisque le politique est éminemment humain, et que l’humanité se définit justement par son imperfection qui la distingue de la divinité, selon la théorie classique), la Monarchie « à la française » dépasse certaines contradictions de la démocratie parce qu’elle distingue des espaces politiques différents, dont chacun dispose de ses propres modes de légitimation et de pratique (le couple monarchie a-démocratique/démocratie a-monarchique) : ce que le légiste de l’Ancien Régime résumait par la formule « Sub rege, rei publicae » (« Sous le roi, les libertés publiques » ou, mieux, « les républiques »). Maurras le traduira par la formule « l’autorité en haut (au sommet), les libertés en bas (à la base) ».
Ainsi, autant la magistrature suprême de l’Etat ne doit rien au choix des électeurs, ce qui permet une grande liberté de décision à celle-ci (y compris pour prendre ou faire approuver les plus difficiles et les moins « populaires » aux yeux des citoyens-contribuables), autant un certain nombre de décisions sont-elles laissées à l’appréciation des citoyens dans leurs sphères de vie et de représentation professionnelles et locales : cela peut éviter bien des frustrations et, surtout, redonner le sens des responsabilités personnelles et publiques aux électeurs tout en leur permettant de décider, non de tout, mais de ce qui peut directement influer sur leur vie et sur lequel ils peuvent agir sans menacer l’équilibre social et national. Il ne s’agit plus pour les citoyens de seulement « arbitrer les élites » (comme c’est aujourd’hui le cas, de la présidentielle aux régionales façon actuelle) ou de répondre, parfois violemment aux décisions ou aux oukases du « pays légal », mais de « reprendre leurs pouvoirs », concrets, politiques ou professionnels, communaux ou provinciaux, etc. et de les exercer dans un cadre délimité qui n’empiète pas sur les pouvoirs régaliens de l’Etat, pouvoirs dont il est bon de mieux définir le cadre pour éviter des malentendus qui dresseraient les uns contre les autres. Subtil équilibre pas forcément facile à trouver puis à faire respecter, il faut l’avouer…
L’architecture de la Nouvelle Monarchie est évidemment à construire mais le principe d’une séparation des domaines d’exercice des Pouvoirs doit permettre d’atténuer les risques de conflits et de confusion entre les uns et les autres : quand nos démocraties actuelles semblent incapables de penser la diversité des espaces politiques autrement qu’en termes de conflictualité et d’affrontement, la Monarchie « à la française » pratique une « distinction et complémentarité active des pouvoirs » au sein du territoire national, sans négliger pour autant d’ailleurs le jeu des partis et l’espace électoral européen.
Salut (je viens d'un lien de com de Marianne2)
Je pense tout comme vous avec un bémol sur un point.
La monarchie "à la française" (la monarchie tout court, à vrai dire, puisque c'est en France qu'elle a connu ses formes les plus diverses), c'était l'interaction de plusieurs corps arbitrée par le souverain si besoin. Un système où le monarque était ET partie prenante ET arbitre. On comprend les situations délicates que ça pouvait produire ; donc le rôle de ce système "monarchique" était aussi de rééquilibrer de telles situations, en défaveur du souverain. Quitte à le déjuger.
Bref, la monarchie, c'était du 2-en-1, tandis que la République, c'est du 1+1+1.
Mais la République a pu exister parce que la monarchie a échoué ET à empêcher les conditions de l'accident ET à empêcher "l'accident" lui-même. (plutôt que vous fatiguer, je vous oriente vers un extrait http://tinyurl.com/yftnxyt ).
La faute mortelle de la monarchie constitue pour partie le code génétique lui-même de la république.
Pour résumer : je ne pense pas que la forme de la nouvelle monarchie que vous suggérez puisse ne pas tenir compte des 300 ans de cette république tueuse. C'est pourquoi il faut trouver et le discours absolument juste, et les actes absolument justes pour ne pas se tromper. Pas le droit à l'erreur. Or, à moins que ce soit voulu, l'usage même du mot "monarchie", qui paraîtrait pourtant un bon début, en hérisse plus d'un et se montre donc contre-productif. A raison, selon moi, car je pense que les leçons saines en terme de liens profonds n'ont toujours PAS été tirées de l'évènement de la "chute" de la monarchie (donc, si on la remettait en selle, par miracle, eh bien il y a des chances pour que les mêmes causes produisent les mêmes effets!).
Si je devais suggérer une chose, je dirais qu'au même titre que les dynasties changeaient de nom, eh bien le titre du régime lui-même doit changer. Là où "Capétiens", "Valois" etc étaient comme les ascendants du signe "Monarchie", il faut que "Monarchie" soit traité à son tour comme un ascendant, comme un nom de dynastie remplacé par son héritier (bon je décris brièvement le mécanisme, je pose plus des questions, je n'ai pas de réponse d'où le flou probable ; ce qui compte est de percevoir les liens souterrains qui unissent ce que nous savons et ce que nous ignorons).
Cordialement.
Rédigé par : Leblogdumoulin.wordpress.com | 08 décembre 2009 à 13:46