Je profite de mon séjour en Bretagne pour lire, en particulier les ouvrages qui se sont accumulé ces derniers mois sur mon bureau et à ses pieds, et pour me promener, de la Côte d’émeraude à la Mayenne, de Rennes au Finistère, retrouvant des chemins anciens que mes jeunes années ont empruntés. Ainsi, mardi matin, sous une pluie battante, j’arpentais le marché de Lancieux et, comme à chaque fois, j’ai poussé la porte de l’église dans laquelle j’accompagnais ma grand-mère ou mon père le dimanche. A ma grande surprise, la voix du prêtre qui officiait était fortement accentuée : ce n’était plus l’accent chantant et légèrement traînant du recteur Castel, le prêtre de mon enfance, mais un autre accent qui arrondissait les mots et semblait les amplifier, leur donner une forme et une force étranges, presque magiques. Surprenant et réjouissant, aussi… Car, qu’au cœur de l’été, en un jour qui n’était pas un dimanche, une messe réunisse une bonne vingtaine au moins de paroissiens autour de l’autel, que ceux-ci soient attentifs et chantent de tout leur cœur des prières et des louanges à Dieu et à ses saints, c’est, en ces temps si peu aimables à l’Eglise catholique, une bonne nouvelle pour le croyant que je suis !
D’autant plus qu’aucun mot sur la porte de l’église n’annonçait cette messe quotidienne, et que c’est le policier municipal, celui que nous appelions le garde champêtre il y a quelques années encore, qui m’avait indiqué cet office inattendu alors que je m’inquiétais, quelques quarts d’heure avant la cérémonie, de voir close la porte habituellement toujours ouverte… Je n’y vois pas un signe du destin, mais bien une heureuse surprise et un signe d’espérance : dans une société qui ne pense le plus souvent qu’à consommer, qui oublie trop fréquemment le service des autres mais aussi ses particularités historiques et sa personnalité, cette simple messe m’a semblé très symbolique et réconfortante.
Mais il y avait un autre symbole : le prêtre qui officiait avec tant de ferveur, qui évoqua en quelques mots la question du malheur et de ses leçons comme des moyens de le surmonter, cet homme d’Eglise qui faisait vivre la parole de Dieu dans cette petite église bretonne de la Côte d’émeraude était d’origine noire-africaine. C’est son accent que j’avais entendu avant que de l’apercevoir et qui m’avait tant surpris ! Mais sa présence m’a aussi rappelé que l’un de mes copains d’enfance à Lancieux était de la même couleur mais n’avait aucunement l’accent que l’on prête aux personnes d’origine africaine. Je me souviens aussi que sa couleur, étonnante à l’époque dans ce petit village encore agricole et pêcheur, alors très « France profonde », n’a jamais, à ma connaissance, été un motif d’exclusion ou de raillerie : le racisme nous était, aux enfants que nous étions, inconnu et n’avait aucune raison d’être.
A l’heure où certains font des différences de couleur ou d’origine des motifs de repli communautaire et des arguments de revendications parfois fort agressives et dangereuses pour l’unité française elle-même, ce prêtre était la preuve vivante que le langage d’amour et d’espérance est encore possible et qu’il est même nécessaire aujourd’hui pour surmonter les défis du monde contemporain.
En écrivant cela, je ne tiens pas un discours religieux en tant que tel mais bien plutôt je me permets de faire un rappel politique, au sens le plus fort de « politique », celui qui naît au cœur de la Grèce antique, c’est-à-dire la vie de la Cité, son organisation, ses valeurs, ses fondements… Partisan d’une Monarchie royale d’abord politique et sans référence au « droit divin », je n’oublie pas que, sans la conscience du sacré d’une part, de la doctrine sociale de l’Eglise d’autre part, la Monarchie se priverait d’une partie de sa force et, sans doute, de sa légitimité, ce qui serait, pour le moins, regrettable !
Je vais retourner à la messe quotidienne de ce prêtre et je tâcherai de converser quelques minutes avec lui, sans doute dans un café proche puisque le presbytère vient d’être vendu, signe des temps… Sans doute aussi lui dirai-je mes espérances politiques dans lesquelles je vois certaines possibilités d’un « ordre social chrétien » (tel que l’a évoqué La Tour du Pin) sans que cela ne fasse de l’Etat un « obligé de l’Eglise », ce que la Monarchie française n’a d’ailleurs jamais autorisé dans son histoire multiséculaire…
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