Il est des titres en couverture de la presse qui font froid dans le dos, comme celui qui barre la une du « Figaro » ce lundi matin et qui indique, sans fioritures et sans sentiments : « La Grèce à vendre pour payer ses dettes » ! Titre d’une violence incroyable, à bien à y réfléchir… Car il semble dire qu’un pays, un Etat donc, doit se vendre pour résoudre son problème financier, comme si l’on pouvait assimiler une nation à une entreprise ou à une « affaire » ! Mais un pays, c’est une histoire, un patrimoine, des personnes, des vies, des métiers, des traditions : ce n’est pas un stock de numéros ou de robots interchangeables ou jetables une fois qu’ils ne sont plus profitables !
De plus, les institutions européennes qui condamnent la Grèce à une cure de privatisations sans précédent ont un certain culot en oubliant que ce sont les fonctionnaires de la Commission européenne et de la Banque centrale européenne, mais aussi les chefs d’Etat de l’Union, qui ont accepté (plus par principe et par idéologie européiste que par raison ou mesure) que la Grèce rentre dans la zone euro dès 2002 alors qu’ils en connaissaient les faiblesses mais aussi les menteries avancées par les ministres et politiques grecs… Mais, à l’époque et dans l’enthousiasme des marchés à l’égard de l’euro monnaie unique, personne ne voulait gâcher la fête et il est « amusant » (sic !) de relire les articles de la presse économique et les déclarations des responsables de l’Union qui se félicitaient de « l’effet euro » sur l’économie grecque : tout allait pour le mieux dans le meilleur des mondes européen possible !
Aujourd’hui, la Grèce se retrouve dans une situation catastrophique et socialement désespérante, et l’austérité pratiquée sur les conseils de l’Union et du FMI se révèle encore plus désastreuse que le mal antérieur, comme l’indique « Le Figaro » : « La récession continue de sévir. Le chômage bat un nouveau record, à 16 %, et plus d’un jeune Grec sur trois affirme vouloir quitter le pays pour trouver un avenir meilleur ailleurs. Des députés allemands, récemment de retour d’une visite en Grèce, ont reconnu que le pays était sinistré et que l’Union européenne ne pouvait plus imposer de nouvelles mesures aux Grecs. » Est-il si étonnant que, devant l’intransigeance des institutions et des Etats de la zone euro, les syndicats grecs en appellent à brûler le drapeau étoilé européen en signe de protestation ?
Ainsi, ce qui devait réunir les peuples d’Europe hier, les divise et les appauvrit aujourd’hui, faute d’une conscience sociale forte au sein de cette UE seulement motivée par des concepts économiques et des notions (de plus en plus mortifères pour les peuples et les personnes) de « rentabilité et de compétitivité » : l’euro, monnaie unique, devient « inique » lorsqu’elle oublie que la monnaie doit être au service des sociétés toutes entières et non entre les seules griffes des institutions financières et des marchés. Faut-il pour autant en finir avec cette monnaie ? La question mérite d’être posée mais il serait vain et dangereux de ne penser qu’en termes de monnaie quand il s’agit, surtout, de repenser un modèle et les rapports entre le politique et l’économique en posant la question la plus essentielle du modèle de société lui-même et, plus largement, du modèle de civilisation qui régit, pas forcément en bien, notre société et notre vie.
Pour l’heure, la Grèce fait les frais d’un modèle économique qui a fondé la construction européenne dès ses origines, comme le dénonçaient à la fois les monarchistes des années 60-70 et Pierre Mendès-France en s’en prenant aux termes et à la philosophie du Traité de Rome de 1957.
Et pour répondre aux oukases des marchés et de l’Union, les entreprises publiques, les sociétés de distribution d’eau, les ports, les bâtiments, et même les plages et les îles sont privatisées par le gouvernement grec, avec des conséquences scandaleuses et révoltantes : ainsi, certaines plages des alentours d’Athènes sont déjà concédées à des entreprises privées qui font payer jusqu’à 25 euros le droit de se prélasser au soleil et de se baigner dans la Méditerranée, « sans le parking, ni les boissons » comme le rapporte un membre de l’association des consommateurs locaux !
La colère monte en Grèce face à de telles politiques et devant une telle situation, assumées et mises en place par le gouvernement socialiste de plus en plus discrédité et isolé : comme le dit l’analyste politique grec Giorgos Delastik : « Aujourd’hui, même les syndicats s’indignent de la politique de George Papandréou, qui vend des sociétés nationales, pourtant en bonne santé financière, à moitié prix. Même ses ministres ne veulent pas signer ces ventes par peur de passer pour des traîtres. » Car les Grecs se sentent dépossédés et pire, même : ainsi, « pour Ilias Iliopoulos, le secrétaire général du syndicat du public, il n’est pas question de laisser plus d’étrangers s’installer et diriger la Grèce. « Depuis un an, toute la politique gouvernementale est aux ordres d’instances étrangères. C’est donc une occupation, une dictature, une colonisation. » » Des mots durs pour une réalité qui ne l’est pas moins et qui, à plus ou moins long terme, pourrait bien dégénérer au-delà des habituelles manifestations et de quelques désordres d’après-manifestations…
C’est en français, « langue de la résistance » quand l’anglais devient de plus en plus (à son corps défendant, sans doute…) la langue de « l’horreur économique » pour reprendre l’expression de Viviane Forrester, que les Grecs en colère répondent à « l’Europe » et au FMI : « Devant la place de la Constitution à Athènes, un slogan en français affiche la réponse de ces Grecs « le pays n’est pas à vendre ». »
La colère de Zeus pourrait bien, à terme, bousculer les certitudes des économistes et des financiers…