Je reviens d’un court séjour rennais et retrouve mes classes pour quelques semaines encore, autour des thèmes des « Grandes découvertes » pour les 2ndes et des « totalitarismes » pour les 1ères : thèmes passionnants, même si j’avoue une préférence pour le second, sur lequel je me suis longuement penché, avant même d’être professeur.
L’autre jour d’ailleurs, quelques élèves m’ont interpellé sur ce sujet, et l’une d’entre eux se demandait si la monarchie était une forme de régime totalitaire, ce que j’ai évidemment démenti. Néanmoins, puisque la question a été posée, c’est qu’elle existe et peut se poser pour certaines personnes qui ont du mal à distinguer les différentes formes d’autorité entre elles.
Au regard de la discussion qui a suivi cette interpellation, j’ai constaté que le vocabulaire politique n’est plus guère compris aujourd’hui et que des « raccourcis » se font, au risque de rater les étapes et les virages nécessaires de la réflexion et de provoquer des accidents de compréhension et, donc, d’action.
Rappelons quelques éléments de base pour éviter tout malentendu : la monarchie signifie littéralement le pouvoir d’un seul, mais si l’on en examine de plus près les racines étymologiques grecques, cela va plus loin puisqu’il s’agit d’un pouvoir « fondateur » et non d’un pouvoir qui s’imposerait « contre » en l’emportant « sur » des concurrents, ce qui donnerait alors le terme « monocratie »... Dans la conception française de la monarchie, le pouvoir royal est le seul à être source de la décision politique, mais celle d’Etat, et non de toutes les autres institutions qui cohabitaient au sein du royaume avec le pouvoir central : quand l’historien Funck-Brentano écrivait que « la France était hérissée de libertés » sous l’Ancien régime, il signifiait bien cette distinction entre le pouvoir royal central et les multiples pouvoirs provinciaux, municipaux, professionnels ou corporatifs, etc. qui vivaient et prospéraient au sein du pays, sans que la monarchie (parfois gênée par cette profusion à la fois historique et souvent anarchique...) ne cherche forcément à les éliminer ! D’ailleurs, à lire certaines études historiques récentes, la France apparaît, avant 1789, comme polycentrique et non organisée autour (ou par) un seul centre de pouvoir : d’où la formule de Mirabeau qui évoquait cette France d’Ancien régime comme « un agrégat inconstitué de peuples désunis », agrégat qui, tout de même, formait la première puissance d’Europe à l’époque où le futur conseiller de Louis XVI le dénonçait...
Il est intéressant de noter que Louis XVI, en convoquant les états-généraux, s’adresse à « ses peuples » et non à un Peuple unique et monolithique : or, il est tout aussi frappant de constater que les régimes totalitaires, eux, ne reconnaissent ni le pluriel ni la pluralité du mot « peuple » ou de ses synonymes revendiqués (prolétariat, par exemple, dans le cas du marxisme et du communisme), et qu’ils n’en reconnaissent et ne veulent connaître que la définition qu’ils en donnent, autolégitimant ainsi leur propre pouvoir sur les populations qu’ils disent représenter, voire « incarner ». Ainsi est révélatrice la formule de Lénine qui fait du Parti bolchevique « l’avant-garde consciente du prolétariat » et qui, par la même occasion, exclut toute définition de celui-ci autre que la sienne tout en se réservant le droit, comme « avant-garde consciente », de définir la nature même et les désirs du dit prolétariat. Cela laisse effectivement peu de place à la discussion...
Ainsi, la structure même de la monarchie française empêche-t-elle toute confusion avec un totalitarisme forcément antipluraliste, et même Louis XIV, tout roi-soleil « absolu » qu’il était, ne pouvait imposer certains édits à des états provinciaux qui faisaient parfois montre d’une indépendance marquée, presque « frondeuse », à l’égard de l’État central...
D’ailleurs, il est aussi intéressant de noter que si, par l’ordonnance de Villers-Cotterêts de 1539, la monarchie fait du français la langue officielle de l’administration royale, c’est sans pour autant interdire l’usage des autres « langues maternelles françaises » dans la vie publique ou privée, ce que sera tentée de faire la Révolution dès les années 1790... Le fait que, à la veille des événements de 1789, la grande majorité des Français parle une autre langue que la langue administrative du royaume montre que la « France plurielle » n’était pas un vain mot et que l’État royal continuait de se satisfaire de cet état de fait, se contentant d’être l’incarnation de l’unité et non la personnalisation de l’uniformité telle que l’ont pratiqué les totalitarismes du XXe siècle...
(à suivre)
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