Puisque nous sommes le 9 mai, « jour de l’Europe » que tout le monde semble avoir oublié (doit-on y voir le symbole d’un désintérêt, voire d’une sourde hostilité de nos compatriotes envers l’Union européenne ?), quelques mots sur « cette Europe-là ».
En fait, j’ai constaté que cette « Europe » dont nos politiques, fort discrètement en période électorale et en pleine crise de confiance populaire, vantent les mérites, n’est guère connue et encore moins comprise de la plupart de nos jeunes et moins jeunes concitoyens. Certes, ils en connaissent parfois les 27 Etats et les grands projets communs comme la PAC et l’euro, par exemple. Mais, pour ceux qui forment les nouvelles générations, elle ne semble guère les motiver au-delà de l’habitude de la considérer comme une « nécessité » et une sorte de « fin de l’Histoire » continentale…
Les débats sur « l’Europe puissance » (notion éminemment française et qui rompt avec le « seul économique »), qui me semblent pourtant fondamentaux, ne sont guère évoqués alors que c’est pourtant là la clé du problème institutionnel et géopolitique : il n’y a de « puissance », y compris économique, que s’il y a volonté et indépendance. Or, la construction européenne, impulsée par deux démocrates-chrétiens français, Jean Monnet et Robert Schuman, semble avoir ignoré, dès l’origine, cette règle simple et mille fois vérifiée par cette maîtresse terrible qu’est l’Histoire. De Gaulle, farouchement opposé à la supranationalité, ne méconnaissait pas cette donnée de la diplomatie et a, évidemment, rencontré la plus vive opposition de ceux-là mêmes qui l’avaient boudé durant la Seconde guerre mondiale, Monnet le considérant et le dénonçant aux Etats-uniens comme un homme dangereux pour la démocratie…
L’attachement gaullien à l’idée d’une Europe confédérale est aujourd’hui caricaturé ou moqué comme une vieille antienne nationaliste française tandis que les chantres de l’euro-fédéralisme, qui se réclament des « pères de l’Europe » (sic !, car on ne parle guère de l’un des plus importants en son temps, Christian Pineau, et on néglige de voir le passage du chancelier Adenauer du camp Monnet à celui du « nationaliste de Gaulle »…), continuent à vanter « la constitution pour l’Europe » (même si le terme n’est guère évoqué dans le traité de Lisbonne aujourd’hui appliqué à l’Union), dans une approche réglementariste qui veut même fixer par celle-ci la doctrine économique de l’U.E., au risque d’être comparée (de façon un peu outrée d’ailleurs) au système totalitaire de la Russie communiste…
Or, il est deux ou trois choses à rappeler :
D’abord, ce n’est pas une constitution qui fait la volonté d’un Etat ou d’une alliance d’Etats, ni même sa réussite sur le plan politique ou économique : l’Angleterre n’a pas eu de constitution écrite dans son histoire des siècles passés, ce qui ne l’a pas empêché d’être, durant un bon siècle, la puissance majeure de l’Europe et, même, du monde industrialisé ;
Ensuite, l’union de vingt et quelques « passifs » ne fait pas une « action » ou une volonté efficace, pourtant nécessaire à toute politique digne de ce nom : et l’exemple du ralliement de la majorité des pays membres à la position des Etats-Unis dans l’affaire irakienne, en 2003, contre la position pourtant raisonnable de la France, suivie par l’Allemagne et la Russie, est la preuve, tragique, que l’union peut même se retourner contre les intérêts de l’Union européenne… D’ailleurs, l’existence d’un haut représentant de l’Union pour les Affaires étrangères, Madame Ashton, n’a guère changé la donne face aux « empires » et n’a pas rapproché les diplomaties européennes, comme le montre à l’envi l’intervention franco-britannique en Libye et les critiques violentes de l’Allemagne à l’égard de la « guerre française » (sic !)… ;
Enfin, tout fonder sur la seule économie et permettre, au nom des sacro-saints principes du libre-échange, la liquidation de pans entiers des industries nationales au profit de quelques gros actionnaires et de fonds d’investissement étrangers, risque de se retourner contre les promoteurs de cette « anarchie féodale » et de décrédibiliser les institutions mêmes qui auront permis ce « laisser faire, laisser passer » sans limites sociales…
Au regard des (rares) débats actuels sur le thème de la construction européenne, ces enjeux ne sont pas vraiment évidents aux yeux des générations présentes en place ou montantes, sauf pour ceux qui pensent sur le long terme, au-delà du seul présent forcément condamné à n’être qu’un « moment » de l’Histoire, et pour ceux qui sortent des autoroutes de la « pensée unique », autre expression pour signifier « l’idéologie dominante » de nos élites européanisées ou, plutôt, mondialisées.
Je me souviens de cet avertissement de Régis Debray, au milieu des années 90, qui rappelait qu’à trop invoquer Monnet, c’est Maurras que l’on risquait de voir surgir… Il y a quelques raisons de le craindre… ou de l’espérer, qui sait…
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