Ce 1er janvier 2002 était une belle journée sur Antibes, et nous nous promenions dans les rues désertes de la ville, profitant de ce temps clément pour musarder... Bien sûr, nos pas nous ont mené devant quelque librairie ancienne, courageusement ouverte en ce matin d'après-réveillon, comme un pied de nez aux excès de la veille : ce fut là que nous dépensâmes nos premiers euros, même s'ils nous restaient encore quelques francs en poche et que je me fis un point d'honneur de continuer à payer en francs autant que je le pus, jusqu'à la date finale de cette possibilité, en février 2002.
Le libraire, avec lequel j'échangeai alors quelques mots, était toute ironie à l'égard de cette nouvelle monnaie dont il acceptait désormais les pièces et billets et, dix ans après, son ironie (que j'approuvais, au demeurant) apparaît prémonitoire : personne parmi les promoteurs de cette monnaie unique européenne ne tient à se faire trop remarquer, semble-t-il, sans doute de peur d'affronter la colère des citoyens entraînés dans ce qui apparaît comme une « galère » plus que comme une sympathique croisière monétaire, et par crainte (justifiée au demeurant) de s'entendre rappeler leurs propos illusionnistes et euphoriques (euro-phoriques, pourrait-on dire...) de l'époque, tels que ceux que rapporte le mensuel « Le Monde diplomatique » daté de janvier 2012...
J'étais, il y a dix ans, hostile à la mise en place de l'euro comme monnaie unique pour un ensemble de pays qui n'avaient, malgré leur appartenance commune à l'Union européenne, ni les mêmes capacités économiques ni les mêmes intérêts. D'ailleurs, les dirigeants allemands parlaient, parfois ouvertement et pour faire accepter l'euro à leur opinion publique plutôt sceptique, de « l'europamark », et les militants d'Action Française, eux, apposaient dans la Région parisienne des autocollants proclamant « l'euro c'est le mark », ce que la suite, et particulièrement les derniers mois semblent bien avoir confirmé ! Cet euro encore trop cher (même si son coût a diminué ces derniers jours sur le marché des changes) n’a favorisé que les industries allemandes quand il a entraîné de nombreuses délocalisations d’entreprises françaises vers des pays hors de la zone euro (ou les a « justifiées », comme pour Airbus, par exemple) ! Mais n’était-ce pas cette politique d’un mark fort que M. Trichet, président de la Banque centrale européenne, a, par sa gestion de l’euro, pratiqué encore de 2003 à l’automne 2011 ? Aujourd’hui, l’Allemagne semble bien avoir réussi son opération de mainmise sur toute la zone euro, imposant sa direction hégémonique et sa « rigueur » toute germanique à une Europe latine considérée comme trop « légère »… D’un instrument censé lier l’Allemagne à l’Europe de l’Ouest, l’euro est devenu le levier d’une stratégie « d’abord allemande », comme le faisait remarquer l’un des principaux dirigeants du parti de la chancelière Angela Merkel quand il déclarait (pour s’en réjouir) il y a quelques semaines, que « l’Europe parle désormais allemand »…
Et maintenant ? Doit-on sortir de l'euro ou le défendre à tout prix, y compris « jusqu'au dernier Grec vivant » comme le déclarait, moqueusement, un économiste hétérodoxe cet été ? Pas forcément facile de répondre, de trancher ! Mais ce qui est certain, c'est que les partisans de « l'euro malgré tout » commencent sérieusement à m'agacer à annoncer l'apocalypse et la guerre en cas de sortie d'un pays de la zone euro : comme si l'euro n'était pas, déjà, une catastrophe économique et sociale, catastrophe qui se traduit par le simple fait que la zone euro, prise dans son ensemble, est l'espace économique dont la croissance est la plus basse du monde (ce qui, en soi, n’est pas forcément un mal sur le plan de la dette environnementale) et qui est le plus durement frappé par ce que l'on nomme « la Crise », et dans lequel ne surnagent que quelques rares pays, dont l’Allemagne ! Le nombre de chômeurs et de travailleurs en situation précaire ne cesse d’augmenter, et ce n’est malheureusement pas fini !
Non, l’euro n’est ni une chance ni une protection, mais « il est » et, en attendant mieux (ou en préparant autre chose), c’est cette réalité financière qu’il faut appréhender pour, le moment venu, mieux la réformer… ou la dépasser !
(à suivre)