La tempête Joachim a frappé l'Ouest de la France cette semaine, arrachant des centaines d'arbres et privant temporairement d'électricité plus de 330.000 foyers. Mais ce qui restera dans les mémoires, c'est surtout l'image de ce cargo échoué sur la plage de Kerminihy, planté dans le sable et battu à chaque marée montante par les vagues.
Ce n'est pas l'épave qui, d'ailleurs, est inquiétante et je me souviens de toutes ces coques brisées, parfois gardant encore l'apparence de ce qu'elles avaient été jadis, qui servaient de cachette à nos jeux d'enfants sur les plages de Lancieux, en particulier non loin du pont qui mène à Saint-Briac. Les épaves, lorsqu'elles sont immergées, sont aussi des repaires protecteurs pour de multiples espèces de crustacés et de poissons, la nature s'appropriant ce que la société humaine lui a laissée sous forme de pourboire...
Mais les navires modernes ont dans leurs soutes des poisons certains, sources et revers tout à la fois de notre confort moderne, à l'image du mazout qui donne la vitesse et la puissance aux bateaux mais englue les oiseaux et asphyxie les poissons lorsqu'il s'écoule dans la mer, après une déchirure dans la coque ou un naufrage impromptu.
Certes, il n'y a pas de risque zéro, et les tempêtes existeront toujours, sans doute même de plus en plus fréquentes et violentes si l'on en croit les climatologues. Mais il est simple d'en éviter, sinon toutes, du moins certaines de leurs conséquences, et ce naufrage d'un cargo aux cuves pleines de plus de 180 tonnes de poison noir n'aurait pas dû arriver si la cupidité et la bêtise ne s'en étaient pas mêlées !
Cupidité puisque, selon la presse, le capitaine aurait pris la décision d'ancrer le navire hors du port de Lorient pour ne pas avoir à payer de frais d'amarrage dans celui-ci et se mettre « gratuitement » à l'abri non loin des côtes morbihannaises, et repartir plus vite lorsque les vents seraient retombés : « Le temps, c'est de l'argent », n'est-ce pas ? Triste formule qui explique trop des malheurs environnementaux (entre autres...) de notre planète...
Bêtise puisque le capitaine n'a pas été en mesure de rétablir à temps la situation et a tardé à faire appel aux autorités maritimes, là encore pour des raisons financières, au risque d'un pire qui a fini, fatalement, par arriver !
Conséquences : un navire échoué, des tonnes de mazout déversées dans l'eau, une pollution qui menace l'équilibre écologique du lieu et les exploitations ostréicoles toutes proches, au moment même de l'année où celles-ci ont leurs plus importantes activités. Un sacré gâchis dont il est rageant de se redire qu'il n'aurait pas dû arriver !
Bien sûr, on peut encore renforcer les mesures de précaution et de répression pour éviter cela, et il faudra sans doute y songer : mais cela ne suffira évidemment pas, car le problème est beaucoup plus large qu'une simple histoire de législation maritime, et il porte sur le sens même de la Société de consommation et de son idéologie, de ses fondements idéologiques comme le capitalisme, plus sauvage aujourd'hui qu'équilibré, et sur sa fameuse doctrine du « Time is money », si anglo-saxonne que la traduction française (que j'évoque souvent néanmoins) n'en rend pas toute la force maléfique et les échos, parfois destructeurs et déshumanisateurs.
Sur la coque de ce navire échoué, nous inscrirons symboliquement : « On ne commande à la nature qu'en lui obéissant », et, plus loin, en lettres de mazout : « Il faut laisser du temps au temps si l'on ne veut pas être broyé par son inexorable victoire : même l'argent le plus brillant ne peut vaincre ce qu'il ne pourra jamais réduire à la seule quantité. ». Bon, je sais, c'est un peu long, et certains resteront perplexes devant ces deux formules : mais, au regard des photos de ce cargo échoué, il semble bien qu'il y ait de la place sur sa coque désormais condamnée au démembrement honteux...
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