Nous étions quelques collègues d'histoire à déjeuner vendredi dernier et à évoquer l'actualité récente et, en particulier, les plans sociaux qui se succèdent, du site d'Aulnay-sous-Bois à celui de Rennes pour l'entreprise PSA par (triste) exemple, et qui risquent de laisser des milliers de travailleurs, ouvriers ou ingénieurs (entre autres), sur le carreau... Le Monde, dans un article récent, évoquait les 60.000 victimes à brève échéance de ces fameux plans sociaux, si mal nommés quand on y réfléchit bien...
Un de mes collègues, sans se prononcer sur la valeur même de la mondialisation en grande partie à l'origine de ces drames sociaux de fermetures d'usines françaises, y voyait une fatalité inéluctable, dans le sens de l'histoire économique, et contre laquelle, du coup, il était vain de lutter : tel n'était évidemment pas mon avis, et je me suis employé à lui démontrer qu'il n'était pas vain de se battre pour éviter une mondialisation qui ne profite qu'à quelques uns au détriment de beaucoup d'autres.
Entendons-nous bien sur le sens de mon propos : je ne confonds pas la mondialisation avec le simple mouvement d'internationalisation des relations humaines et d'échanges, ou avec la découverte de terres et de cultures différentes. La mondialisation, c'est beaucoup plus que cela, et sans doute de nature fort différente si certaines formes peuvent prêter à confusion : c'est bien plutôt un système et une idéologie qui s'appuient sur l'ouverture du monde pour le transformer en une seule entité globale, « fluide » et « immédiate », au risque d'en nier les spécificités particulières ou de les transformer en simples arguments industriels ou commerciaux. Dans cette mondialisation, l'Argent s'est rapidement imposé comme la seule référence, faisant des critères de productivité, rentabilité ou profitabilité les arguments majeurs et seuls « légitimes » (sic !) de l'activité économique des sociétés et des hommes... Le résultat est la recherche permanente du profit, souvent égoïste, au détriment des hommes et des sociétés priés de « s'adapter » aux nouvelles règles, celles-là mêmes qui refusent justement que les Etats puissent en édicter pour limiter la mondialisation et son extension à tous les domaines de la vie sociale, voire individuelle.
Là encore, une précision s'impose : je ne suis pas de ceux qui condamnent « le profit » par principe, mais je considère trois éléments : la manière dont il est créé, et ce qu'il en est fait, mais aussi s'il est mesuré ou s'il est déraisonnable au regard des réalités sociales du lieu et du moment. Si le profit passe par l'exploitation des uns pour le bonheur des autres, souvent beaucoup moins nombreux que les précédents, je ne peux l'accepter sans récriminer ; s'il n'est utilisé que pour la satisfaction de quelques uns et dans le rejet des autres ou leur misère, je ne peux l'accepter, au nom d'une justice sociale qui, à mon sens, doit primer pour garantir l'équilibre des sociétés humaines ; s'il est « l'hubris » (la démesure) et écrase les hommes comme il détruit l'environnement ou les héritages humains (traditions, au sens actif et parfois critique du terme...), il est condamnable, purement et simplement... A l'inverse, s'il se conjugue avec l'honnêteté, la juste valeur du travail accompli, la justice et le partage, avec l'amélioration de la condition humaine, sociale ou environnementale, il est utile et tout à fait légitime !
Contrairement à mon collègue, sans doute à la fois fataliste et trop optimiste sur les possibilités de la mondialisation à améliorer les choses, je pense qu'il faut réfléchir et agir sans hésiter à aller à contre-courant de ce qui se veut « le sens unique de l'histoire » : il ne faut pas oublier que, selon les époques, ce fameux sens de l'histoire a sacrément varié, entre le paradis scientiste et colonialiste des hommes du XIXe et le paradis socialiste promis par Marx et ses épigones du XXe, sans oublier cette « fin de l'histoire » (sic !) que nous annonçait triomphalement Francis Fukuyama au début des années 90 et qui a fait long feu depuis, perdue dans les gravats des tours du World Trade Center et dans les mausolées dévastés de Tombouctou...
La mondialisation n'est pas une fatalité car il n'y a pas un sens unique de l'histoire, il n'y a que l'histoire qui, elle aussi, ne sait pas toujours où elle va...
(à suivre : la mondialisation heureuse, un mythe ?)
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