A Paris, la place de la République a fait peau neuve et est devenue une vaste esplanade dévolue au premier chef aux piétons, même s’il reste évidemment une partie toujours dédiée à l’automobile. L’inauguration a eu lieu dimanche, et tout le monde s’extasie sur cette reconquête de la ville par le piéton, sans doute à juste titre même s’il reste encore beaucoup à faire pour qu’elle soit effective et pour diminuer les flux automobiles intra-muros sans, pour autant, pénaliser les habitants des périphéries parisiennes qui viennent travailler au cœur de la capitale : une équation délicate qui n’est pas encore résolue, semble-t-il, à voir les encombrements des débuts et fins de journée.
Lors de l’inauguration, les passants étaient invités à apposer des messages sur la place, comme le rapporte « Le Figaro » : « Elle est belle ! Vive Répu ! » qui me fait penser spontanément à Béru, le héros de Frédéric Dard, plus qu’à Marianne ; l’optimiste et un brin démagogique « Paris aux piétons enfin ! » (pas à tous, visiblement, à voir l’indélicate répression des piétons de « la Manif pour tous » sur les Champs-Elysées ou au Quartier latin…) ; « Pour une République apaisée », message qui tient plus du slogan politique et du vœu pieux que de la promotion d’une place piétonne… Pendant ce temps, M. Delanoë paradait avec son adjointe et candidate à la prochaine élection municipale de 2014, cherchant peut-être à faire oublier son accès d’humeur contre l’humoriste Canteloup, accusé par l’édile parisien de pratiquer un humour « homophobe » (sic !) parce que moqueur à l’égard du maire et de ses manies.
En regardant les images de l’inauguration et en lisant les articles s’y rapportant, j’éprouve une certaine gêne et une impression d’inachevé ou d’occasion manquée : car, si la place en ses nouveaux atours est belle, et j’espère qu’elle le restera aussi longtemps que possible, elle ne peut me faire oublier un projet aujourd’hui abandonné (mais est-il fatal que cela soit définitif ?), projet immense et ambitieux que je défends depuis le milieu des années 2000, sans malheureusement beaucoup de succès… Ce projet, qui dort d’un sommeil profond dans les cartons de la SNCF, c’est celui de la Grande Gare internationale de Paris qu’il était prévu de construire sous la place de la République même.
Paris a cette particularité de n’avoir en son sein que des gares qui sont autant de « terminus », sans lien ferroviaire intra-muros entre elles : ainsi, impossible de traverser Paris dans le même train alors même que la plupart des relations entre, par exemple, la Bretagne et le Nord passent par la capitale… A chaque fois, et j’en ai quelques souvenirs épuisants, il faut débarquer avec ses valises encombrantes à Montparnasse, descendre dans le métro, éviter d’oublier un bagage (dont il est dit qu’en cas d’abandon –souvent une distraction, en fait- il sera automatiquement détruit…), courir parfois pour ne pas louper sa correspondance, s’essouffler dans des escaliers roulants glissants, etc. Et si, par « malheur » (sic !), vous possédez un gros chien, interdit de prendre le métro et difficile d’être accepté par un taxi !
Tout l’intérêt de cette Grande Gare projetée et espérée réside justement dans la possibilité de traverser Paris sans avoir besoin de descendre du train : gain de temps, économie d’énergie personnelle, compétitivité renforcée face à l’aéronef, et rôle de véritable carrefour et plaque tournante ferroviaire qui pourrait renforcer l’attractivité de Paris ! De plus, cette Grande Gare pourrait être l’occasion de montrer l’excellence française dans la construction d’un ensemble architectural et technologique original souterrain, comme le viaduc de Millau l’a été en d’autres lieux et d’autre manière. Cela romprait aussi avec l’idée de plus en plus répandue d’une capitale muséifiée et qui semble de plus en plus vivre sur ses acquis anciens (et évidemment à sauvegarder et entretenir) et sur quelques « gadgets pour Bobos » (pas toujours nécessaires au rayonnement à long terme de la ville…) !
Cela pourrait être « le » chantier ferroviaire du siècle à Paris et créer de multiples emplois mais aussi de multiples activités de maintenance et de services, tout en étant appelé, une fois la gare terminée, à devenir à son tour une « gare symbole » comme a pu l’être (et encore aujourd’hui…) la prouesse technique (esthétique, c’est moins sûr…) de la Tour Eiffel.
La France, dans son histoire, a su innover et faire preuve d’une imagination parfois fort bénéfique (parfois moins, aussi…) pour le pays et sa place dans le monde : il serait dommage que, obnubilée par ses comptes sans pour autant agir pour les redresser (la faute à une République qui n’a comme horizon que les prochaines élections !), elle en oublie ce qui fait aussi son identité dans l’histoire : l’audace, et la grandeur !
Cette Grande Gare pourrait en être le révélateur et la plus belle des illustrations contemporaines : voilà un vrai et beau projet pour les années prochaines ! Mais qui, dans notre classe politique actuelle, si peu créative et si peu courageuse, osera le porter ?
Commentaires
Vous pouvez suivre cette conversation en vous abonnant au flux des commentaires de cette note.