Quatre-vingts ans après, le Six Février 1934 reste une date symbolique, repérée et annoncée comme telle par les historiens, mais aussi effrayante pour les bien-pensants de la République, encore agitée comme un épouvantail par l’actuel gouvernement et ses partisans, qu’ils soient politiciens, ministres ou journalistes : pour preuve les récents propos de M. Valls dans le Journal du dimanche, comparant les manifestants hostiles à la politique familiale hollandiste à ceux qui firent trembler (à défaut de pouvoir le renverser…) le régime de la IIIe République en ce triste hiver 1934. Les partisans du « pays légal » des années 30 à aujourd’hui, n’ont eu de cesse, jusqu’à nos jours et encore plus cette dernière année troublée, d’en maquiller les causes et d’en travestir le sens, parfois même dans les manuels scolaires, au mépris de la vérité historique et de la simple honnêteté intellectuelle. Ainsi, les événements du 6 février sont-ils souvent présentés comme une tentative « fasciste » de coup d’Etat des « ligues d’extrême-droite », sans beaucoup plus d’explications. Parfois, toute trace de celle qui fut à l’origine des manifestations, l’Action française, a-t-elle disparu...
Aussi, retracer l’histoire de l’Action française, à travers son journal et son mouvement, pour cette période de quelques semaines de l’hiver 1934, apparaît nécessaire, pour dissiper quelques malentendus et réparer oublis et injustices.
À la fin de 1933, la France est en crise : crise économique venue d’outre-Atlantique, qui ronge le tissu social du pays, mais aussi crise politique, conséquence d’un système parlementaire facteur d’instabilité ministérielle ; crise morale révélée par les multiples scandales qui éclaboussent régulièrement la classe politique de la IIIe République ; crise de civilisation, enfin, à l’heure où les démocraties et les totalitarismes se font concurrence pour le contrôle des masses, et où technique et consommation assoient de plus en plus le règne de l’argent au détriment des cultures et des personnes.
C’est dans ce contexte lourd d’inquiétudes et de menaces que, le 24 décembre 1933, un article de presse, apparemment anodin, évoque une affaire d’escroquerie découverte à Bayonne et l’arrestation du directeur du crédit municipal de cette même ville, coupable d’avoir émis de faux bons pour des sommes très importantes. Que cet article paraisse dans le quotidien monarchiste L’Action française semble fort logique : après tout, ce journal n’a de cesse de dénoncer toutes les (mauvaises) « affaires » de la république pour mieux la décrédibiliser aux yeux d’une opinion publique pas encore totalement blasée, comme il se veut aussi le chantre de la « réaction nationale » qui doit, en bonne logique maurrassienne, mener à la monarchie.
Cette tactique de dénonciation systématique des maux de la république, en ces années trente, ne manque pas d’aliments tant les scandales qui touchent le régime et ses hommes semblent nombreux. Mais, jusque là, cela ne débouche guère sur autre chose que quelques manifestations de rue, des actions de Camelots du roi et la sempiternelle confirmation de la malhonnêteté inhérente au système idéologico-politique de la démocratie représentative. Pour autant, malgré le peu de débouchés politiques apparents de cette perpétuelle contestation (faute d’un Monk ?), la capacité d’indignation des journalistes et des militants royalistes reste intacte, prête à se manifester à l’occasion, avec le souhait toujours rappelé d’aboutir au renversement de la « gueuse », synonyme (pour les Camelots du roi) de république.
En quelques jours, « le scandale de Bayonne », comme le nomme l’Action française et, à sa suite, la presse populaire, prend des proportions inquiétantes pour le monde parlementaire. Chaque jour amène son lot de révélations, et la liste des escrocs et des corrompus s’allonge. C’est l’Action française qui, grâce à une « taupe » bien placée dans l’appareil d’Etat (au ministère de l’Intérieur lui-même ?), reçoit de nouveaux documents compromettants pour quelques personnalités politiques, et se fait un devoir et un plaisir de les publier. Ainsi reproduit-elle les lettres d’un ministre, Dalimier, conseillant de se procurer les fameux bons du Crédit municipal de Bayonne, et met-elle en cause le magistrat Pressard, beau-frère du président du Conseil du moment, Camille Chautemps : les premiers numéros de l’A.F. du mois de janvier 1934 fourmillent d’accusations et d’explications sur la vaste escroquerie mise en place par un certain Alexandre Stavisky, en fuite depuis Noël.
(à suivre)
Merci pour cette chronique sur le rôle de l'AF,en effet caricaturé par les manuels scolaires et la pédagogie bien pensante -
Un collègue d'histoire-géo.
Rédigé par : olivier martin | 09 février 2014 à 10:24