« Labourage et pâturage sont les deux mamelles de la France » : cette citation célèbre de Sully, ministre du roi Henri IV, a-t-elle encore un sens aujourd’hui ? Certes, le Salon de l’Agriculture remporte chaque année un succès populaire indéniable mais de plus en plus on le visite comme on irait au zoo, c’est-à-dire en quête d’exotisme plus que de racines ; certes, il reste environ un million de personnes qui travaillent dans le secteur agricole mais de moins en moins en relation avec les saisons et les paysages et de plus en plus en fonction des cours des produits agroalimentaires ; certes, les productions agricoles françaises se vendent et s’exportent encore bien mais elles ne constituent plus qu’une part dérisoire du PIB français (environ 4 %)…
En fait, l’agriculture française est en crise, mais surtout elle semble douter d’elle-même, presque négligée par un Etat qui ne la considère que sous le seul angle économique quand il faudrait la penser sous les angles sociaux, environnementaux, voire même politiques, dans le cadre d’une stratégie à long terme et d’une politique d’aménagement du territoire dont les terroirs, les paysages et les sociétés locales humaines ne peuvent être absentes. D’ailleurs, cette crise, qui provoque de nombreux drames dans le monde des exploitants agricoles (suicides nombreux, marginalisation sociale et isolement, endettements dangereux, arrachages d’arbres fruitiers ou abandon –et disparition- de cultures ou d’espèces végétales comme animales…), n’est que le prolongement ou la pratique d’une mondialisation qui uniformise plus encore qu’elle n’internationalise les produits tirés de l’activité agricole, et d’une logique agroalimentaire qui privilégie les profits et les grandes quantités, souvent (même si cela souffre quelques belles exceptions) au détriment de la qualité et des traditions des terroirs et des communautés. La logique de la société de consommation n’arrange rien en favorisant des formes de restauration rapide et bon marché qui dévalue les attitudes du bien manger et dévalorise la nourriture comme les arts de la table, les ramenant à une simple routine quantitative, trop sucrée, trop salée et trop grasse : du coup, les consommateurs sont peu sensibles, la plupart du temps, à la provenance ou à la qualité propre des produits alimentaires, n’en considérant que le prix ou le goût plaisant sans en mesurer les conséquences ni même les saveurs véritables…
Et pourtant ! La France est un pays d’une richesse absolument exceptionnelle, et ses terroirs, multiples et si variés, révèlent et recèlent des trésors qu’il serait dommage de laisser perdre ou s’oublier, que cela soit dans le domaine des vins, des fromages, des légumes ou des viandes, entre autres : la France est, disait-on jadis, un véritable jardin et ses 28 millions d’hectares de Surface agricole utile (mais quelques autres millions peuvent aussi permettre des activités agricoles, entre landes et forêts, par exemple) nous le rappellent, comme la diversité des produits qui en sont issus et que nous retrouvons, parfois, sur les marchés locaux. C’est une chance qu’il nous faut saisir ou, plutôt, ressaisir : le « pétrole vert » de la France, c’est bien l’agriculture ! Encore faut-il ne pas faire n’importe quoi, et ordonner les activités et les productions agricoles aux capacités et aux qualités des lieux, dans le respect des paysages et des climats qui sont, tout de même, les maîtres naturels d’une agriculture saine et appropriée à la pérennité des milieux. Cela nécessite de prêter plus d’attention aux modes de production eux-mêmes, et d’en limiter, autant que faire se peut, les inconvénients pour les terres comme pour les hommes.
Bien sûr, l’agriculture actuelle est productiviste et très mécanisée, très « chimique », mais ce n’est pas une fatalité et il est possible (et sans doute nécessaire, d’ailleurs) de la « désindustrialiser » sans pour autant faire s’effondrer les quantités produites nécessaires à la consommation nationale et à l’exportation : une réorientation de la formation professionnelle et de la production agricole est possible, comme l’a été, dans les années 50-60, la politique de modernisation qui, si elle a permis l’augmentation des quantités produites, a parfois négligé, gravement, les conséquences environnementales et culturales. Il s’agit, non d’un retour en arrière, mais d’une meilleure prise en compte des conditions nécessaires à la pérennisation des milieux et de la présence agricole en France, partout où la terre peut donner à nourrir, mais aussi à vêtir et à installer (construction et ameublement, etc.), les hommes.
(à suivre)
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