La coupe du monde de balle-au-pied est une occasion de soulever quelques questions sur la société dans laquelle nous vivons, au-delà même de ce sport à la fois mobilisateur et révélateur. Ainsi, une question sur l'attitude des autorités politiques d'un Etat comme le Brésil qui ont fait voter, dès mars 2012, la « Lei Geral da Copa », c'est-à-dire la « loi générale de la Coupe » qui octroie des droits incroyables à la Fédération Internationale de Football (Fifa) et à ses partenaires économiques, y compris au détriment du droit du travail et aux dépens des commerçants locaux et des Brésiliens eux-mêmes. Sur le site du Figaro (11 juin 2014), on apprend que « grâce à ce texte, la Fifa a décroché le droit de vendre des billets sans tenir compte du demi-tarif pratiqué pour les étudiants et les retraités. Mais surtout, l'instance mondiale du football a obtenu l'autorisation de vendre de l'alcool dans les stades brésiliens afin de satisfaire le partenaire officel Anheuser-Busch, fabricant de la bière Budweiser. Cette interdiction datait de 2003 et servait à endiguer la violence dans les enceintes sportives. » Que ne ferait-on pas pour engranger de meilleurs profits, quand on est une multinationale et que l'on vante les mérites d'une mondialisation qui n'est, en somme, qu'une vaste marchandisation du monde ? D'ailleurs, les minutes publicitaires des marques partenaires de la Fifa sont, à ce sujet, très explicites, vantant une sorte de mondialisation heureuse qui gomme les différences spatiales, culturelles et sociales, et dont le sport serait la meilleure illustration, joyeuse et musicale... Ainsi, la mondialisation des multinationales remet au goût du jour la fameuse formule de Saint-Just pour qui « le bonheur est une idée neuve » (en fait éternellement neuve) désormais étendu à la planète entière, de façon quasi-obligatoire : qui ne sourit pas est donc un dangereux personnage dont le scepticisme ou le silence cache sûrement des secrets inavouables ! Les Saint-Just contemporains sont publicitaires, financiers ou marchands, sportifs ou dirigeants sportifs, et ils peuvent s'appeler Coca-Cola, Adidas ou Platini...
La Fifa n'a pas inventé la dictature ludique, « distractionnaire » comme l'écrirait Philippe Muray, mais elle en est, aujourd'hui, le bon petit soldat : souriez, ou disparaissez ; consommez, ou disparaissez ; payez, si vous en avez les moyens, ou endettez-vous... ou, sinon, disparaissez ! D'ailleurs, la mondialisation s'adresse à tous, mais pas de la même façon, selon que vous êtes « acteur majeur de la mondialisation » ou simple épicier, comme le souligne Le Figaro : « Une zone commerciale exclusive est déployée dans un rayon de 2 kilomètres autour des stades. Impossible pour les boutiques situées dans ces périmètres de commercialiser des produits autres que ceux des partenaires officiels. Les vendeurs ambulants seront pour leur part tout simplement bannis. Exit donc la libre concurrence.
En cas d'infraction à ces mesures ou en cas d'atteinte à l'image de la Fifa et de ses sponsors, ce qui est devenu un crime fédéral, le Brésil a décidé (…) de créer des tribunaux d'exception. Pourtant contraires à la Constitution brésilienne de 1988, puisque la justice n'est plus la même pour tous les citoyens, ils permettront de distribuer des sanctions en un temps record. » Non, vous ne rêvez pas, et ces informations sont tout ce qu'il y a de plus officielles et assumées par l'Etat brésilien, mais aussi par les instances sportives mondiales de la balle-au-pied : quant à nos démocraties, si promptes à brandir le flambeau de la liberté et à vanter à la fois les droits de l'homme et le libre marché sans entraves (ce qui ne me plaît guère généralement, pour ce dernier, au regard de la loi de la jungle qu'il peut engendrer...), elles sont bien discrètes... Hypocrisie à tous les étages ?
Et pourtant, les rencontres de balle-au-pied peuvent être un spectacle enchanteur... Souvenons-nous juste que ce n'est, pour autant, qu'un « village Potemkine » et que, derrière ces belles façades sportives, qu'il n'est pas interdit d'admirer (et tant mieux, d'ailleurs!), il y a des réalités parfois plus sinistres et, au-delà, tout le cynisme moralisateur de classes dominantes mondialisées, certaines de leur puissance et de leur impunité... Elles oublient que, dans un temps pas si lointain, un de ces vendeurs ambulants, empêché de vendre ces petites marchandises, s'est suicidé et qu'une révolution est née de cet « incident » : c'était en Tunisie, il y a un peu plus de 3 ans... L'histoire tient aussi, parfois, à ces « détails » qui en changent le cours...
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