La mort d'un jeune opposant à la construction d'un barrage dans le Tarn, à Sivens, est devenue ces derniers jours et ces dernières heures un événement politique, créant désormais un nouveau rapport de forces dans ce dossier, et cela au bénéfice des adversaires de ce projet porté par le Conseil général (dirigé par les socialistes) du Tarn et voulu par quelques agriculteurs qui n'en avaient sans doute pas mesuré exactement les conséquences environnementales. La mort de Malik Oussekine en décembre 1986 avait entraîné l'abandon définitif d'une réforme universitaire et la démission du ministre de l'Enseignement supérieur de l'époque, Alain Devaquet: il en sera sans doute de même pour ce barrage désormais « mortel » comme le titre Libération dans son édition du mardi 28 octobre.
Si je me réjouis de l'abandon probable (et souhaitable) de ce projet inutile et mal ficelé (ce que reconnaît le rapport d'experts publié lundi mais rédigé avant le drame de dimanche), je ne peux que regretter que, une fois de plus, cela soit dans les pires conditions possibles, après la mort d'un manifestant et le soupçon jeté sur des gendarmes que les autorités légales ont envoyé dans un véritable traquenard, alors même qu'il n'y avait pas besoin de forces de l'ordre sur ce terrain, les engins de chantier ayant été déplacés et l'espace déboisé ne nécessitant pas vraiment de surveillance particulière. Un sacré gâchis ! Sans parler des exactions commises par quelques groupes plus nihilistes que véritablement anarchistes au sens doctrinal du terme, qui profitent des événements pour se livrer à leurs jeux habituels de saccage et brouiller l'image (plus complexe et colorée que les médias veulent bien le laisser croire...) des opposants à la société de consommation (elle-même éminemment nihiliste, à bien y regarder...) qui nous gouverne, souvent bien malgré nous mais avec le consentement de beaucoup de nos contemporains : cette société de consommation qui trouve sa formulation politique en Occident à travers la démocratie représentative (désormais de nature oligarchique), d'ailleurs, n'est rien d'autre que ce « désordre établi » que dénonçaient, dès les années trente, les non-conformistes dont les monarchistes Thierry Maulnier ou Jean de Fabrègues, mais aussi Bertrand de Jouvenel (lui aussi monarchiste et fidèle du comte de Paris), aujourd'hui considéré comme un des précurseurs de l'écologie politique.
Cette affaire révèle aussi combien les mécanismes de la démocratie représentative (qui n'est qu'une forme de la démocratie, sans doute pas la plus satisfaisante...) semblent désormais incapables de désarmer les conflits entre « pays réel » et « pays légal », de concilier aspirations des citoyens et décisions des élus, d'organiser véritablement la discussion civique et politique dans notre pays. Le divorce entre la classe politique dominante et les peuples de France est consommé, sans doute, depuis 2005 et le référendum sur la Constitution européenne, et les derniers événements du Tarn n'en sont qu'une preuve supplémentaire : alors, comment renouer le dialogue entre Français et institutions, si ce n'est en redonnant à la magistrature suprême de l’État une autorité nécessaire et, surtout, légitime pour pouvoir permettre, sans risque pour l'unité nationale, l'épanouissement et l'exercice le plus complet possible des libertés publiques, civiques et politiques.
Dans cette affaire de barrage, il a manqué deux choses : un véritable débat démocratique à la base et un véritable arbitre au sommet. Ce que l'on peut traduire ainsi : des républiques à la base et la monarchie au sommet...