Les chômeurs ne manifestent pas, en particulier quand le chômage atteint le taux élevé qui est le sien aujourd’hui dans notre pays, et les ouvriers, menacés de perdre à leur tour un emploi qui apparaît de plus en plus fragile dans la société désindustrialisée qui est la nôtre, préfèrent faire le dos rond, acceptant sans entrain une dégradation de leurs conditions de travail qui vaut toujours mieux, selon eux, que l’absence de travail… Triste constat ! Et pendant ce temps-là, les économistes, penchés sur leurs statistiques et perchés sur leurs certitudes, nous déclarent que, ça y est, l’Union européenne est sur la bonne voie, que les pays du sud de l’Europe retrouvent de la croissance (sauf l’Italie…), et que la crise de la zone euro n’est plus qu’un souvenir à enterrer bien vite dans quelques manuels d’histoire économique !
En entendant de tels propos qui encombrent les antennes des radios économiques, il m’arrive de serrer les poings, de rage, en attendant d’en lever un, bien haut vers le ciel, ou de rêver de l’envoyer dans la figure de quelque bonimenteur nous déclarant qu’avec lui, on rasera gratis demain ou que son ennemi c’est la Finance quand il couche avec elle, au vu et au su de tous : s’il y a une reine de France aujourd’hui, ce n’est pas celle que le royalisme nous promet et qu’il promeut, c’est bien plutôt l’hypocrisie, et elle loge dans les palais de la République, au sein des conseils d’administration des multinationales et se pavane sur les plateaux de télévision, la bouche en cœur et le mépris en bandoulière !
Il est, au fond de notre vieux pays, dans les cœurs ardents comme dans les esprits libres, dans ce pays réel et, souvent, souffrant, une sourde colère qui gronde : craignez, messieurs les politiciens oublieux de vos devoirs de politique et de la justice sociale, qu’un jour elle ne tonne, et pas seulement au fond des urnes, et qu’elle n’emporte tout quand elle se muera en tempête de désespoir, la plus violente, la plus désordonnée, la plus farouche de toutes ! En bon royaliste, je ne la souhaite pas nihiliste et dévastatrice car j’en connais, au regard de l’histoire, les torrents de boue et de haine qu’elle peut déverser : je la souhaite, au contraire, organisée, créatrice, fondatrice même, d’une nouvelle citoyenneté, d’une nouvelle Cité, et, en tant que gouvernail institutionnel, d’un nouveau régime, d’une nouvelle Monarchie, éminemment sociale sans être socialiste au sens politicien du terme.
De la société de consommation, profondément injuste et malsaine, gâtée d’argent et pourrie d’individualisme, le philosophe post-maurrassien Pierre Boutang affirmait haut et fort qu’il n’y avait rien à conserver : il n’avait que trop raison, rejoint en cette sainte colère par son ami Maurice Clavel, ce royaliste qui se croyait gauchiste parce que la Droite des héritiers avait oublié son histoire et ses combats sociaux ! Et lorsque je vois, non loin de moi, dans un café qui m’est cher, le visage torturé d’un homme que sa « boîte » a jeté parce qu’il était « trop vieux » (à 50 ans à peine, même pas mon âge…) et trop peu « compétitif » (sic !), ce visage dévasté d’un homme qui, tout d’un coup, se croit inutile alors qu’il a pourtant tant à dire et à apprendre aux autres, je comprends mieux encore ce que mes aînés ont voulu dire et que je reprends à mon tour, comme une antienne coléreuse et plus que jamais nécessaire… « Il est des colères justes », ajoutait Boutang : c’est aussi un appel à les rendre efficaces !