Lénine, en 1916, évoquait « l'impérialisme, stade suprême du capitalisme » : d'une certaine manière, Jean-Marie Colombani lui donne raison par ses propos : « Certes, il faut protéger le peuple grec. Ce qui veut dire aujourd'hui le défendre face à un gouvernement qui l'appauvrit et le précipite, pour des raisons idéologiques, dans l'inconnu. La Grèce et les Grecs méritent mieux que le triste gouvernement de Monsieur Tsipras. » Derrière ces quelques phrases apparemment anodines et qui peuvent être librement écrites (et c'est tant mieux, d'ailleurs !) et discutées (idem !), l'on sent bien le désir fort d'un interventionnisme politique européen en Grèce, considérée comme une simple province de l'Empire (au sens romain du terme), au nom d'une Europe qui ne devrait plus être débattue mais seulement obéie, y compris dans ses conséquences économiques : capitalisme libéral et jacobinisme idéologique, d'une certaine manière !
Cet interventionnisme est la preuve d'une impuissance, celle des européistes et des institutions européennes comme internationales, des créanciers de la Grèce, à pouvoir la faire céder à « leurs » conditions : le réveil indépendantiste hellène montre aussi, a contrario, le caractère profondément intrusif de l'Union européenne dans la direction des pays qui la composent, et l'absence de souplesse et de mesure de cette Europe qui s'est construite sur des espérances, mais aussi et surtout sur une série de malentendus et de non-dits. Malheureusement, pourrait-on ajouter, car la construction d'un ensemble géopolitique européen indépendant aurait pu ouvrir d'autres perspectives que celles aujourd'hui visibles et peu satisfaisantes d'un monde européen largement manipulé ou contrôlé par une super-puissance d'Outre-Atlantique et par une « gouvernance mondiale » qui ne laisse guère de place aux gouvernements eux-mêmes.
En cela, M. Colombani est conséquent avec lui-même et cette logique de l'européisme qui cherche à « dépasser » les États et à renforcer le jacobinisme de Bruxelles, mais fait, en définitive, le jeu d'une puissance allemande qui ne veut pas s'assumer jusqu'au bout, parce qu'elle préfère, pour des raisons qui tiennent à son histoire tragique du XXe siècle, un néo-bismarckisme intra-européen à une affirmation internationale qui réveillerait des inquiétudes, en particulier des puissances anglo-saxonnes : celles-ci, et notamment les Etats-Unis, tirent grand profit de cette "timidité" germanique et de l'actuelle impuissance française.
Que l'on me comprenne bien : je ne dénie aucunement à M. Colombani le droit de critiquer le gouvernement grec, mais je conteste son idéologie et cet interventionnisme de nature idéologique (en temps de paix et dans un pays en paix) qui, parfois, peut prendre des aspects plus violents et a montré, y compris dans une histoire récente, ses limites et ses risques. Tout État constitué, au sein de l'Union, doit pouvoir dire son mot, avec les formes institutionnelles qui sont les siennes et, d'ailleurs, n'est-ce pas la meilleure application du fameux principe de subsidiarité inscrit dans le traité de Maëstricht de 1991, mais fort peu respecté comme l'annonçaient et le craignaient, au moment du débat référendaire de 1992, les souverainistes et de nombreux royalistes français ?
L'Union européenne ne doit pas être une fusion et une confusion, ce que voudraient M. Colombani et ses amis, mais un ensemble de libres États unis autour d'intérêts communs et susceptibles de présenter une alternative géopolitique à la logique des « empires » politiques comme économiques. Plutôt que l'interventionnisme au sein des États en difficulté, c'est la solidarité qu'il faudrait mettre en avant : non pour agir à la place des gouvernements locaux, mais pour les conseiller ou les aider sans les humilier !
Un exemple simple, dans le cas de la Grèce : l'Union aurait pu favoriser une valorisation touristique et artistique du pays pour, par de nouveaux flux de visiteurs, permettre l'entrée de nouvelles ressources financières et aider à la remise à flots financière et économique. La France, en lançant des initiatives en ce sens, par exemple par le prêt à Athènes de statues grecques antiques aujourd'hui présentées au Louvre ou des jumelages médiatisés entre villes françaises et grecques, pourrait participer à cet effort qui, d'ailleurs, profiteraient aux deux pays : il y aurait tant à faire, et ce ne sont pas les idées qui manquent ! Cela serait aussi une manière de valoriser une certaine idée culturelle de l'Europe en un temps où les peuples recherchent avidement du sens aux choses...
Plutôt que l'interventionnisme et la répression budgétaire, mieux vaudrait l'échange, le dialogue, la fondation (ou la redécouverte) d'une histoire, sinon unique, du moins commune. En somme, tendre la main aux autres, et aux plus faibles en particulier, plutôt que brandir la menace !
L'Europe mérite mieux que M. Colombani, en définitive...
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