Les dernières manifestations lycéennes et étudiantes ont été mouvementées et les images des violences du jeudi 24 mars, dont certaines se sont poursuivies le lendemain par les attaques de deux commissariats parisiens, s'inscrivent parfois moins dans le mouvement de contestation proprement dit que dans une ambiance délétère d'une fin de règne chaotique : en somme, ce n'est pas l'état d'urgence qui s'imposerait aujourd'hui mais bien plutôt l'urgence d'un État digne de ce nom et susceptible d'ouvrir un véritable avenir aux jeunes et aux moins jeunes de ce pays, un destin lisible à la nation et dans (voire face à...) la mondialisation.
Le 9 mars n'a pas été le soulèvement (espéré, visiblement -provisoirement ?- en vain) qui aurait pu mettre le gouvernement devant ses contradictions et cette journée a, en partie, figé la scène du théâtre politique en un affrontement de tendances de gauche plus rituel que fondateur : un collègue, fin observateur des mouvements de lycéens, me confiait que son sentiment devant cette situation était l'ennui, doublé d'un haussement d'épaules. Rien, en somme, qui puisse justifier l'espérance d'un soulèvement « transversal » dans lequel les héritiers des « Veilleurs » et ceux de Mai 68 auraient pu trouver matière (et manière) d'une « alliance objective » au moins « contre » à défaut d'être « pour »...
Et pourtant ! Il faut écouter ce qui se dit dans les cortèges plutôt que devant les micros, et ce qui se murmure dans les salles de classe et dans quelques amphis universitaires. Bien sûr, il faut aussi en faire la part des choses et ne pas hésiter à en corriger les tendances lorsque cela est nécessaire : le pire serait de laisser dire et dériver vers les terres d'illusion et les îles d'utopie, ou au profit de quelques manipulateurs carriéristes ou caïds locaux.
En définitive, ce n'est pas tant la loi Travail qui est contestée que le mal-être ou plutôt l'angoisse qui s'exprime, à la fois affolée et désordonnée, devant un avenir auquel l’Éducation nationale n'a pas préparé, avec ses discours lénifiants et moralisateurs : la grande faute de la République reste cette « promesse non tenue » d'une instruction publique qui, désormais, au lieu d'élever et former les intelligences, n'est plus que l'outil de formatage à une société de consommation de plus en plus globalitaire, à cette « addictature » du virtuel et de l'artificiel, de l'argent et de « l'individu » (qui n'a plus grand-chose à voir avec la personne, enracinée et possiblement libre). Ce n'est pas toujours la faute des professeurs, mais plus sûrement des programmes scolaires et de leurs rédacteurs, et la dernière réforme du collège, qui ne fait qu'aggraver les tendances lourdes d'un égalitarisme niveleur et, en définitive, au service des oligarchies et de l'idéologie dominante, en est une preuve supplémentaire : que la contestation des enseignants de collège ait été traitée avec le plus grand mépris par le ministre Vallaud-Belkacem n'est pas un détail mais bien une attitude significative de cette oligarchie « de gauche » qui s'est emparée de la République et tient à appliquer son programme, envers et contre tout, craignant plus une révolte lycéenne incontrôlable (quoique manipulable...) que celle de quelques latinistes, germanistes ou historiens, qu'il est loisible au ministère de sanctionner administrativement ou de marginaliser politiquement (en les traitant de « réactionnaires » ou/et d'élitistes, par exemple) pour mieux leur dénier toute légitimité... Du coup, que certains enseignants soutiennent discrètement les jeunes manifestants du mois de mars n'a rien de surprenant, même si ces premiers n'ont guère d'illusions sur les possibilités, voire sur les intentions de ces derniers, faute, sans doute, d'une stratégie commune ou même d'un dialogue entre les deux catégories évoquées ici.
Certains lycéens et étudiants en colère sont néanmoins conscients des limites d'une simple critique d'une loi qui, de toute façon, n'est rien d'autre que la transcription de règles européennes libre-échangistes dans le Droit français. Se contenter de lancer quelques slogans contre la loi El Khomry (« belle connerie », selon les manifestants) est, en définitive, relativement vain : ce ne peut être qu'un début, un moyen, mais sûrement pas une fin pour qui pense au-delà de l'écume du moment. En cela, les manifestations du 9 mars ont été décevantes, et les débats médiatiques limités à quelques généralités ou à de « grands principes » peu motivants, à de rares exceptions près...
La question qui se pose reste bien celle d'un « dépassement » de la seule contestation de la loi Travail (la mal nommée, d'une certaine manière car elle ne relancera évidemment pas plus l'emploi que les précédentes...) pour ouvrir de nouvelles voies de réflexion et de combat : va-t-elle surgir maintenant que de nouvelles formes de contestation plus violentes (ce dont je ne me réjouis pas forcément...) semblent trouver plus d'écho parmi des jeunes déçus de ne pas avoir été, selon eux, « entendus » ? D'un mal pourrait surgir un bien ?
Rien n'est sûr, au jour d'aujourd'hui, et les incidents du lycée Bergson de Paris pourraient tout autant être oubliés demain que nourrir une nouvelle agitation, sans doute plus brouillonne et, donc, plus dangereuse pour l'actuel gouvernement, hanté par la crainte d'un « nouveau Mai » ou d'un nouveau « Malik Oussekine » : Bainville nous rappelle qu'il faut toujours « attendre l'inattendu » pour ne pas perdre pied quand celui-ci, improbable mais possible, surgit...
(à suivre)
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