La tragédie grecque continue... Combien de fois ai-je soupiré cela, et combien de fois ai-je entendu la réaction de quelques uns qui rétorquaient que les Grecs l'avaient bien cherché, qu'ils n'avaient que ce qu'ils méritaient, etc. ? Ces réponses ne me plaisent pas, quels que soient les défauts et les fautes des Hellènes, et je n'aime guère les amalgames qui punissent, en définitive, tout un peuple comme si tous étaient coupables de la situation, même ceux qui, lors des tricheries initiales sur la réalité du déficit de l’État, n'étaient pas nés ou qu'à peine adolescents.
La Grèce entre dans l'Union européenne avant même qu'elle ne prenne ce nom, et elle a été reçue au sein du club européen pour des raisons qui tiennent autant à l'histoire, en ces années 1980 où elles étaient encore considérées comme légitimes, qu'à la politique, la Grèce ayant retrouvé sa place au sein des démocraties après la dictature des colonels qui avait déposée la Monarchie locale du roi Constantin : l'entrée accélérée dans la Communauté économique européenne était aussi une occasion pour cette dernière de montrer qu'elle était la chance pour les pays de l'Europe du sud d'effectuer un rattrapage économique et d'accéder à la société de consommation, si attractive pour des populations qui vivaient alors chichement, même si c'était librement et sans dettes majeures... C'était aussi l'époque où la France dominait encore la construction européenne et que son président depuis 1974, Valéry Giscard d'Estaing, en incarnait, par son discours enjôleur, la belle illusion d'une nouvelle solidarité entre États d'Europe.
Aujourd'hui, rien ne va plus, et la fraternité européenne ressemble à celle de la Révolution française : « baiser Lamourette », et guillotine universelle pour les mal-pensants... Vaste hypocrisie qui profite des bons sentiments de nombre de nos concitoyens, sincèrement « européens », et qui assassine chaque jour un peu plus ceux qui n'y croient plus, recrus de malheurs sociaux et victimes d'un véritable acharnement des ordo-libéraux qui ont pris, concrètement, le contrôle de la politique économique de l'Union européenne, sous la houlette du ministre allemand des finances M. Schäuble, l'intraitable homme de fer de l'Europe.
Ces jours-ci, l'Allemagne a encore imposé sa vision au reste de l'Europe de Bruxelles, et a refusé tout allégement de la dette grecque, alors même que la République fédérale avoue un excédent commercial de 270 milliards d'euros, encore plus important que celui de la Chine, et qu'il atteint 8,7 % du PIB de 2016 quand l'UE n'autorise, dans la zone euro, qu'un plafond de 6 %, cela pour éviter un trop grand déséquilibre au sein de l'espace monétaire unique européen. Cet excédent ne me semble pas, en soi, condamnable. En revanche, ce qui est condamnable mais que peu de responsables politiques de l'Union soulignent, c'est l'absence de solidarité concrète d'un pays à l'économie florissante avec un pays qui, depuis sept longues années, vit une véritable et continuelle descente aux enfers, avec une économie sinistrée par une dette qui, malgré tous les efforts faits et consentis par les citoyens grecs, ne cesse d'enfler. C'est aussi l'absence de politique alternative à celle de l'Allemagne présentée par une puissance comme la France, qui pourrait se faire entendre et mieux entendre, surtout. Quand M. Sapin, libéral honteux à Paris et beaucoup plus libéré loin de la capitale française, se rallie à l'intransigeance germanique avec des mots qui rappellent ceux d'un certain Laval qui confondait déjà intérêt de l'Europe avec intérêt de l'Allemagne, il y a de quoi s'encolérer ! « Ce n'est pas une position allemande, c'est une position que nous partageons », affirme-t-il à propos du maintien du FMI dans la troïka qui soumet, en définitive, la Grèce à la plus violente des austérités contraintes. Propos tristement révélateurs d'un abandon de toute volonté d'indépendance nationale de la part du gouvernement...
C'est l'absence d'une France forte et capable de se faire entendre et respecter par ses partenaires et en particulier par l'Allemagne, qui défait toute idée et pratique d'une réelle fraternité européenne au service des nations et des peuples. Si l'on veut aider la Grèce, c'est bien à la France qu'il faut redonner les moyens politiques d'être et d'agir : il n'est pas certain que le scrutin présidentiel du printemps réponde à cette exigence. Cela n'empêche pas néanmoins d'y penser et d'y travailler...