« Les promesses n'engagent que ceux qui y croient », expliquaient ironiquement et cyniquement jadis MM. Chirac et Pasqua, en bons politiciens qu'ils étaient. Mais ce qui semble vrai en démocratie d'opinion contemporaine l'est encore plus, et avec des conséquences parfois dramatiques, dans le domaine économique, en particulier dans cette « économie sauvage » que la mondialisation permet au nom du Marché et de ce libre échange qui se veut et se proclame « sans entraves », en particulier sociales ou environnementales. Ainsi Nokia, entreprise finlandaise, annonce-t-elle la suppression de 597 emplois (surtout sur les sites de Lannion et de Saclay) d'ici 2019 alors que, au moment de son rachat d'Alcatel-Lucent en 2016, elle promettait la création de 500 emplois au moins en France, et s'y engageait même devant le ministre de l'économie de l'époque, un certain Emmanuel Macron... Mais est-ce vraiment une surprise ?
L'histoire nous apprend que, dans le cadre de la mondialisation, la recherche de la plus grande profitabilité financière, en particulier sous la pression exigeante des actionnaires, nouveaux maîtres et tyrans de l'économie mondiale, prime sur toutes les autres considérations, à quelques exceptions près. Comme l'écrit Elsa Bembaron dans Le Figaro en son édition du 15 septembre dernier, en pages économie : « L'histoire se répète malheureusement. Une fois passée sous pavillon étranger, une entreprise française, fût-elle un fleuron de son domaine, a une fâcheuse tendance à voir les emplois nationaux s'évaporer. Nokia n'échappe pas à la règle. » Règle de la mondialisation sans frontières, de la « fortune anonyme et vagabonde » qui s'impose au détriment des hommes et des nations...
Ainsi Nokia ne fait que s'inscrire dans une longue (et triste) tradition de la parole violée par ces féodaux de notre temps, sûrs d'eux-mêmes et peu soucieux de la misère d'autrui : le libéralisme, au-delà de l'individualisme que Mme Thatcher avait poussé jusqu'à sa logique ultime en déclarant que la société n'existait pas, est aussi un égoïsme, parfois inconscient mais souvent bien réel ! René de La Tour du Pin, ce maître du royalisme social, n'hésitait pas, à la fin XIXe-début XXe, à demander que les pouvoirs publics, nationaux comme locaux et professionnels dans une logique de subsidiarité bien comprise, interviennent, voire légifèrent, remettant en cause une « Liberté du travail » qui n'était rien d'autre que la liberté des possédants (financiers ou industriels) d'exploiter les travailleurs privés de tous les droits par le décret d'Allarde et la loi Le Chapelier de 1791 aggravés par le pouvoir primo-napoléonien.
D'ailleurs, Nokia, en se réorganisant, semble avoir oublié toutes les promesses d'hier, quand il fallait séduire l’État français et éviter que celui-ci n'empêche l'appropriation d'Alcatel-Lucent par la multinationale finlandaise, et celle-ci joue à fond la mondialisation pour contourner les problèmes et s'exonérer de ses responsabilités en France. Comme le signale la journaliste du Figaro, « les CV pour un emploi en France sont désormais étudiés... en Hongrie. Les syndicats reprochent d'ailleurs au groupe de poursuivre la délocalisation de nombreux métiers vers des pays d'Europe de l'Est et vers la Grèce et le Portugal. » Cette délocalisation n'est pas anodine et montre bien la duplicité de la multinationale qui pille le savoir-faire français pour servir ses propres intérêts sans en faire profiter ceux qui en sont à l'origine. La Croix, sous la plume d'Alain Guillemoles, rappelle aussi que, déjà, « les centres de décision de l'ancien Alcatel ont quitté la France. Et le titre s'éloigne des actionnaires français alors qu'au même moment l'action Nokia quitte l'indice CAC 40 remplacée par STMicroelectronics. »
A plus ou moins long terme, c'est la pérennité même du site de Lannion qui est menacée et, plus avant, la présence de Nokia dans les anciennes places d'Alcatel : si les emplois sont menacés, concrètement, c'est aussi et encore tout un pan de l'industrie française ou d'origine française (à défaut d'être désormais propriété française) qui disparaît du territoire national au profit, non de pays en tant que tels, mais de féodalités économiques transnationales. Là encore, c'est l’Économique qui semble s'émanciper, dangereusement, de toute responsabilité sociale et se moquer du Politique, de l’État dont le rôle premier est d'assurer la sécurité des Français, que cela soit sur le plan géopolitique ou sur le plan social.
La réaction de l’État français sera, dans les jours qui viennent, déterminante et l'on mesurera là sa volonté effective d'agir, au présent et pour l'avenir, pour la prospérité française. Mais il doit aussi penser une stratégie économique et industrielle qui puisse permettre, le plus tôt possible, de pallier aux reniements des entreprises, qu'elles soient nationales ou internationales, et de les contraindre, autant que faire se peut, à tenir les promesses faites sous le contrôle de l’État, sous peine, en cas d'échec à se faire respecter, de n'être plus que « l'impuissance au sommet », le pire des destins pour un État. La République a souvent eu, dans son histoire, une pratique fort peu sociale, sauf lorsque le rapport de forces lui imposait des « aménagements » dans le libéralisme ou, à l'inverse, dans son étatisme étouffant. « D'en haut », le président De Gaulle a bien essayé de briser cette malédiction républicaine mais il s'est heurté aux égoïsmes et aux aveuglements sociaux, de part et d'autre de l'échiquier politique, et il n'a pu complètement mener à terme ce qu'il avait débuté, inspiré par la lecture féconde de La Tour du Pin mais incompris (ou trop bien compris...) des syndicats de l'ère de la consommation « sans entraves ». Il est vrai que la République, par essence, empêche aussi toute politique durable de long terme, coincée qu'elle est entre deux fournées électorales et prisonnière de ceux qui les financent. Anatole France reprochait à Marianne de n'avoir pas de politique étrangère – ce qui fut particulièrement vrai sous la Troisième, malgré Théophile Delcassé - , mais qu'aurait-il dit de la politique sociale s'il s'y était intéressé, comme Emile Zola ?
S'il y a quelques bonnes raisons en France d'être favorable à la Monarchie, c'est justement qu'elle offre à l’État quelques possibilités de ne pas être un bateau ivre ballotté entre des camps antagonistes et des élections contraires (« l'alternance », dit-on...), et quelques moyens de pouvoir renforcer la parole du Politique face aux stratégies de l’Économique et des féodalités financières, fussent-elles mondialisées. Quand Firmin Bacconnier proclamait que la Monarchie serait sociale ou qu'elle ne serait pas, il rappelait aux royalistes comme aux princes, à ceux qui croient au Roi comme à ceux qui n'y croient pas, qu'il est du devoir du monarque de faire régner la justice en France, et surtout quand elle est en cause dans le domaine économique et social. « Pas de justice, pas de paix », clament certains manifestants : nous leur répondrons, à la suite de l'histoire sociale de notre pays (qui ne ressemble à aucun autre, d'une certaine manière) et au regard des situations et enjeux contemporains : « pas de Roi, pas de justice sociale ». C'est bien la Monarchie royale « à la française », éminemment politique et « essenciellement » sociale, qui, sans faire de miracles ni prétendre tout résoudre, permet sans doute le mieux de préserver ce qui doit l'être dans les vents parfois furieux de la mondialisation...
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