Dans la série d'hommages qui se succèdent pour le lieutenant-colonel Arnaud Beltrame, une page du Figaro de ce lundi 26 mars a réuni deux Versaillais, l'un philosophe, l'autre romancier, tous deux écrivains de bonne plume, pour un arc de triomphe posthume envers celui qui est, bien avant d'être une victime, un vrai héros et un martyr au sens ancien et chrétien du terme, c'est-à-dire un témoin de sa foi et porteur de valeurs plus hautes que nos simples personnes. Cette page mérite d'être découpée et conservée précieusement, et elle peut constituer un formidable manifeste de cette civilisation qui est la nôtre, issue de l'autel et de l'épée, et forgée au long d'une histoire bimillénaire, et qui ne veut pas, qui ne doit pas mourir. Je n'ai d'ailleurs pas hésité à en lire quelques extraits à mes élèves de lycée, et j'en lirai encore demain aux autres classes...
« Le don de soi dont cet officier a donné un exemple éclatant contrarie les valeurs d'une société de consommation où il se passe des choses d'une bassesse incroyable du côté de l'argent », écrit d'une plume forte et bernanosienne Sébastien Lapaque, qui nous rappelle que notre actuelle « dissociété » (selon le mot juste de Marcel de Corte) si laide et si peu digne du beau nom de société, cette dissociété dont Pierre Boutang nous disait qu'elle n'avait plus que des banques comme cathédrales, a si bien valorisé l'argent qu'elle en a oublié ce qui fait que les hommes ne sont pas que « des êtres avides d'avoirs ». Mais, justement, et comme le souligne François-Xavier Bellamy, « ce don de soi ne s'improvise pas ; et c'est la somme de générosité cultivée dans les jours ordinaires qui s'est soudain condensée, face au danger, dans cette initiative inouïe. (…) Un tel acte ne naît pas par hasard, il ne s'invente pas sur le coup. Et il ne serait jamais arrivé, s'il n'avait pas été préparé par l'effort de toute une vie (…) et finalement, par l'âme de tout un peuple. » Une âme qui s'est forgée au long d'une histoire qui plonge ses racines dans les tréfonds de ce qui a fait la France et ses valeurs, à travers ses variétés et leurs forces propres : « Service de la patrie, foi au Christ Jésus, sens de l'honneur, don de soi, sacrifice pour une dame : dans notre monde caractérisé par une production de faux sans précédent – et d'abord de fausses valeurs -, le lieutenant-colonel Arnaud Beltrame était animé par l'idéal de l'antique chevalerie française, celui des vaillants prud'hommes du XIIe siècle qui préféraient la mort à la souillure. Dans le silence de notre démocratique médiatique si parfaite, la noblesse de son geste vient de haut et de loin. » Oui, de haut et de loin, la formule est belle et juste ! Dans ce monde plat qui se veut si transparent que l'on se heurte constamment à ses murs et plafonds de verre du « politiquement correct » et de la « censure morale », il apparaît nécessaire de retrouver « la vraie échelle des valeurs », celles qui permettent les cures d'altitude pour rejoindre les hauteurs de la liberté et de l'honneur sans lesquelles il n'y a que servilité et bassesse, celle-là même que Flaubert dénonçait cruellement comme définition du « bourgeois » du XIXe siècle...
« Arnaud Beltrame a donné sa vie pour une autre. C'est une vie pour une vie. (...) En termes de big data, l'événement est invisible. Pour l'éthique utilitariste qui prévaut si souvent aujourd'hui, son geste n'a servi à rien (…) Mais voilà, nous avons le sentiment inexprimable que cet homme nous a sauvés. Tous. Pas seulement cette femme innocente arrachée à la violence, mais nous tous, à travers elle. Et, poursuit M. Bellamy, je crois qu'en effet malgré les apparences, Arnaud Beltrame a, par le don de sa vie, remporté une victoire absolue contre la haine islamiste – et contre ce qui, dans nos affaissements intérieurs, avait permis à cette haine de se tracer un passage.
« Victoire contre le terroriste : son but était d'arracher des vies pour créer la peur, et la soumission qu'elle prépare. Mais on ne prend rien à celui qui donne tout... Collectivement, à travers cet officier, notre peuple tout entier n'est plus une victime passive ; il nous rend l'initiative. Mourir n'est pas subir, dès lors qu'on sait pour quoi on meurt. (…)
« Mais nos martyrs, eux, servent la vie. » Et l'on peut dire, ainsi, « Mort, où est ta victoire ? », en n'oubliant pas que le lieutenant-colonel Beltrame a aussi fait acte d'amour en se substituant volontairement à la femme otage du terroriste... La valeur d'exemple de l'acte du militaire renverse la perspective habituelle voulue par les terroristes, et l'héroïsme a suscité une réaction de fierté et l'envie, non de simplement haïr un ennemi forcément haïssable, mais de suivre la voie du héros, celle de l'esprit et de l'espérance en notre pays et en sa valeur d'âme... La résistance naît de ces gestes qui semblent vains et fatals mais qui dépassent la seule réalité factuelle pour atteindre des vérités hautes, celles qui fournissent, non des moyens matériels d'existence, mais des raisons de vivre, pour soi comme pour les autres, au présent comme pour « l'heureux avenir que tout homme bien né souhaite à sa famille et à sa patrie », pour paraphraser Maurras.
Ce mercredi de la Semaine sainte, lorsque le cercueil drapé de tricolore s'avancera dans la cour des Invalides, ce n'est pas une défaite que l'on pleurera, mais, bien au contraire, une victoire que l'on célébrera, dans la douleur et dans l'espérance, et qui se doit d'en préparer d'autres, plus décisives encore...
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