Dans ce débat permanent que j'entretiens avec nombre de lecteurs, d'amis ou de curieux de la chose publique, sur la Monarchie et ses possibilités, ses caractères et ses limites, de nombreuses questions tournent autour du rapport à la mondialisation, comme celle d'un de mes jeunes interlocuteurs, Rony D., qui m'interroge : « Comment la monarchie, et particulièrement aujourd'hui où la mondialisation tend à confondre les cultures, peut-elle être crédible ? ». La question n'est pas inutile, loin de là, car la mondialisation apparaît désormais comme notre cadre de vie, influençant nos comportements économiques et de consommation, et, au-delà, nos manières de sentir, de penser et, donc, d'agir. Il semble difficile de lui échapper ou, du moins, de ne pas être affectée par elle, d'une manière ou d'une autre, surtout en ces temps de communication rapide et de connections électroniques multiples...
La mondialisation n'est pas neutre et ne l'a jamais été, et sans doute est-ce encore plus vrai dans le domaine dit culturel (métapolitique, diraient certains) que dans tous les autres : le fait de disposer d'un savoir, non pas universel mais mondialisé, en quelques clics sur un ordinateur ou un téléphone, semble « aplatir » la planète et nous relier à tous ses points, sinon à tous ses coins... La publicité, d'ailleurs, reproduit ce « monde » imposé en niant les frontières culturelles ou en les folklorisant, ce qui est, en fait, une forme de muséification et non de valorisation de celles-ci : la culture mondialisée est le dépassement de toutes les cultures collectives enracinées, au nom d'un multiculturalisme qui, en définitive, est le désarmement des cultures réelles. Culture mondialisée contre cultures enracinées d'un lieu et d'un peuple ou d'une communauté, pourrait-on résumer : les tristes prédictions de Claude Lévi-Strauss, qui annonçait ce processus et cette finalité de ce que l'on pouvait encore qualifier « d'occidentalisation » dans la seconde moitié du vingtième siècle, se réalisent par et dans la mondialisation contemporaine. Est-ce si étonnant quand on se rappelle que l'histoire du monde n'est souvent rien d'autre que le rapport de forces permanent, qui laisse peu de place aux faibles ou aux perdants, et engage leur processus d'évanouissement ou de dissolution (voire d'extermination) dans le « monde gagnant », qu'il soit empire ou « gouvernance » : « Vae victis ! », proclamait Brennos au jour de sa conquête (temporaire) de Rome, et sa formule vengeresse résonnera longtemps aux oreilles des habitants de la cité de Romulus, et, quand lui s'en contentera, les Romains engageront un véritable combat culturel pour accompagner leurs propres conquêtes, et ce sera la romanisation, ancêtre de la mondialisation... Et les Celtes y perdront leurs habitudes, leurs traditions, mais aussi leur indépendance première et leur civilisation s'effacera, sauf en quelques marges et recoins de l'empire.
Dans ce processus de mondialisation, ou face à lui, que peut la France, et que pourrait la Monarchie ? S'interroger sur cela ne signifie pas nier ce qui est, mais plutôt chercher à le comprendre, pour s'en défendre ou pour y répondre, c'est-à-dire rester maître de sa propre lecture du monde et de son action intellectuelle ou diplomatique sur ce dernier : « Le monde a besoin de la France », s'exclamait Georges Bernanos. Il ne s'agit pas d'un repli sur soi, d'un isolement qui, pour splendide que certains le verraient, serait, en définitive, mortel pour ce qu'il s'agit de préserver et de transmettre, mais d'une affirmation de soi, de l'exercice de la « liberté d'être » qui est d'abord un pouvoir, la possibilité d'être soi-même et de tracer son propre chemin dans l'histoire, ce qui donne une « raison de vivre » à notre pays, au-delà même de ses conditions économiques d'existence.
Pour cela, la France a de nombreux atouts, qu'ils soient économiques, culturels, diplomatiques, politiques, géopolitiques, mais elle semble parfois incapable de les valoriser, y compris aux yeux et aux cœurs de ses natifs ou de ceux qui l'ont rejointe en ces dernières décennies. Et pourtant ! La France est une puissance moyenne, mais une puissance quand même, une puissance qui, par sa taille même, peut jouer un rôle de médiation entre les puissances impériales et les nations de moindre envergure, voire les petits pays ou les communautés sans État. Tenir son rang, c'est ne pas céder à la tentation impériale qui fut celle de Napoléon et de la Troisième République (sous des formes différentes selon le cas évoqué), ni au tropisme de l'empire des autres : de Gaulle, dans la lignée des Capétiens, a rappelé ce que pouvait être une politique française d'indépendance, en écoutant les uns et les autres sans forcément leur céder. Si Kennedy en conçut quelque dépit, son concurrent Nixon (malgré tous ses défauts) comprit alors ce qu'était la France « historiquement libre », et il la respecta beaucoup plus que nombre de ses successeurs...
Or, pour tenir sa place dans le concert des nations, la France se doit d'être elle-même et d'avoir la volonté de sa liberté, mais aussi d'enraciner sa politique dans la durée et la mémoire, ce que, mieux qu'une République présidentielle ou parlementaire, peut faire et assumer une Monarchie royale qui ne détient pas son pouvoir ni sa légitimité d'un « vote de fracture » d'une majorité contre une minorité : par essence, la Monarchie royale, « non élue », n'est pas d'un camp contre l'autre, elle est au-dessus de la mêlée politique sans pour autant être indifférente ou insignifiante. En somme, elle est arbitrale, et, comme l'arbitre d'une rencontre de balle-au-pied, elle suit la partie mais ne la joue pas, se contentant de « distinguer » entre des points de vue qui peuvent être, pour de multiples raisons, divergents, et de décider de valider ou non telle ou telle option de grande politique, par sa signature ou son « conseil ».
(à suivre : La Monarchie et la nation-famille France ; Monarchie et culture mondialisée ; etc.)