« Le Roi, c’est l’arbitre-né » : il n’a choisi ni de naître, ni de naître fils de roi appelé à devenir, un jour, roi lui-même… Et pourtant, ce qui semble injuste ou hasardeux est le meilleur moyen d’assurer l’indépendance de l’arbitre, tout simplement. La simplicité dynastique de la Monarchie royale peut être un formidable atout pour l’État quand la République, par nature, divise et, plus encore, se nourrit des divisions qu’elle crée…
La Monarchie arbitrale l’est par statut, par essence même en France, et c’est la transmission héréditaire qui lui donne ce caractère. C’est pourtant ce qui est le plus difficile à accepter par nos concitoyens, désormais attachés au principe de l’élection présidentielle, à ce que les politologues nomment « la reine des élections » (hommage du vice à la vertu, s’amuseraient quelques royalistes taquins…), et cela même s’ils sont de moins en moins nombreux à se déplacer pour aller glisser un « bulletin d’espoir » dans l’urne, au regard des précédentes décennies depuis 1965. Pourtant, c’est bien le fait d’être libre du choix des autres, c’est-à-dire de ne pas dépendre des jeux de partis et de la guerre des ambitieux, qui fonde l’indépendance du monarque et lui permet d’être l’arbitre au-dessus des intérêts privés ou communautaristes. « Le roi est mort… vive le roi ! » : cette formule rituelle est le cœur même du miracle renouvelé de la Monarchie royale, et sa brièveté n’enlève rien à sa puissance symbolique et à son efficacité. Quand la conquête de la présidence de la République nécessite de l’argent, une communication efficace, des réseaux puissants, et une longue et permanente campagne présidentielle, jamais vraiment achevée (même au soir du second tour effectif de l’élection elle-même), la transmission de la couronne, elle, prend quelques minutes, et cela même si le protocole qui, ensuite, valide et valorise la passation de la magistrature suprême de l’État, peut prendre de multiples formes cérémonielles et quelques mois de présentation du nouveau souverain aux différents corps constitués du pays. Sauf abdication, le processus est d’une simplicité absolue tout en revêtant un double aspect, tragique et joyeux : le roi en exercice rend le dernier soupir, et c’est la tragédie de la mort, et ce deuil qui semble tout emporter. A l’annonce de l’assassinat de son mari Henri IV, la reine Marie de Médicis se répand en larmes et gémissements, se frappant la poitrine de douleur… « Le roi est mort, le roi est mort », se lamente-t-elle. La même scène ne se produit-elle pas à la mort de chaque roi et quelles qu’en soient les circonstances, en fait ? Mais la douleur ne peut être que temporaire car déjà la vie triomphe : « vive le roi ! » (5). Ainsi, en quelques instant, la mort est surmontée, non pas effacée physiquement, mais sublimée par l’annonce du nouveau roi : en criant « vive le roi », le héraut du moment semble dire « Mort, où est ta victoire ? ». La transmission héréditaire affirme la continuité, voire la perpétuité de l’État en sa magistrature suprême, au-delà des souverains qui, un temps, en assurent et en assument la charge.
Avec l’hérédité royale, l’ordre de succession est connu bien avant que le moment de celle-ci ne survienne : cela permet de préparer le futur monarque à sa charge, à son métier de roi par une éducation appropriée et par une entrée progressive dans la sphère politique et symbolique de la Couronne, ce qui a aussi le mérite d’apprendre ce qui doit aussi être une qualité pour régner, la patience. En somme, la Monarchie royale accompagne le temps sans chercher à le forcer : elle se fait « humilité » devant lui, ne sachant ni le jour ni l’heure du passage de sceptre du mourant au vivant, mais en acceptant la « finitude » des êtres royaux et en préparant la suite des vivants. Un roi bien instruit et soucieux de bien dire comme de bien faire sera toujours plus utile et crédible qu’un président de passage se livrant à la démagogie pour conquérir la place élyséenne… N’est-ce pas ce que voulait dire le père du socialisme révolutionnaire français (ou anarchisme), Pierre-Joseph Proudhon quand il déclarait : « Un homme qui travaille à assurer sa dynastie, qui bâtit pour l’éternité est moins à craindre que des parvenus pressés de s’enrichir et de signaler leur passage par quelque action d’éclat » ?
D’ailleurs, le principe de la transmission héréditaire rejoint le cycle de la nature, y compris des hommes, et c’est le plus naturel des modes de transmission : n’est-ce pas pour nos enfants, nos héritiers les plus proches, que nous nous démenons, travaillons et économisons ? Ne sont-ils pas les prolongements de notre propre être, de notre propre vie ? Bien sûr, ils ne nous ressemblent pas toujours, n’ont pas les mêmes goûts ni les mêmes envies, et nous déçoivent-ils, parfois, parce qu’ils ne sont pas les « mêmes » que nous. Mais, n’est-ce pas, et c’est vrai aussi pour la magistrature suprême de l’État, la condition même du renouvellement, de la continuité sans le fixisme ? «Le monarque qui meurt ou qui abdique fait place à un successeur qui représente une nouveauté et une espérance. Les éléments de l’avenir, tels que les fournit la génération nouvelle, se sont groupés autour de lui. Le passé paternel lui confère des droits, sans l’enchaîner aux fautes, aux erreurs, aux revers. C’est une aurore qui s’éveille, c’est une jeunesse qui brille, un personnel nouveau et des idées nouvelles qui se font jour pour reverdir sur le vieux tronc. » (6) : cette longue citation de Maurras nous rappelle ces choses simples qui font que l’avenir s’enracine dans le passé sans y rester enfermé.
(à suivre)
Notes : (5) : Alors que sa mère la reine se lamente, l’un des conseillers de feu Henri IV lui fait remarquer que, non, le roi n’est pas mort, et qu’il est bien là, à côté d’elle, en désignant le jeune garçon de 9 ans qui, pour l’histoire, s’appellera désormais Louis XIII...
(6) : Une citation extraite du recueil de fragments d’écrits politiques de Charles Maurras, « Nos raisons, contre la République, pour la Monarchie », publié en 1936.