La vie parlementaire n’est pas toujours un long fleuve tranquille pour un gouvernement, surtout quand la majorité absolue des sièges manque à son parti moteur, et Mme Borne vient d’en faire l’expérience : il suffisait, lundi après-midi, de constater la stupeur mêlée de frayeur sur les visages des ministres lorsque Mme Le Pen a annoncé que son groupe voterait la motion de censure déposée par la Nupes, pour comprendre que « l’inattendu » pouvait bien transformer l’impossible en risque réel pour le gouvernement. Heureusement pour celui-ci, le parti Les Républicains n’a pas fait montre d’opposition ce jour-là, et a sauvé un ministère qu’il aurait pu renverser s’il en avait vraiment eu l’intention. Or, le grand danger pour le parti de droite est une dissolution de l’Assemblée nationale qui entrainerait, encore un peu plus une fois les législatives engagées et faites, son affaiblissement et sa quasi-disparition au profit du parti gouvernemental macroniste et du Rassemblement mariniste. Et les conseils de son ancien mentor, Nicolas Sarkozy, semblent suivis dans les faits sinon dans les paroles : le soutien des Républicains aux réformes macroniennes sur les retraites et le travail ne faiblit visiblement pas, au risque d’accélérer la coupure entre le pays légal acharné à imposer un recul de l’âge d’accès à la retraite quand les travailleurs du pays réel, eux, ne semblent pas vouloir s’y résoudre, quels que soient les arguments économiques que la République et la Commission européenne (toujours favorable à la retraite à 67 ans, depuis son engagement de janvier 2011 en ce sens) peuvent avancer en une logique qui oublie que, sans acceptation sociale, toute réforme est vouée à l’échec ou à la moindre efficacité, ce qui revient, en fin de compte, à la même chose.
Les Républicains et le parti macronien forment un « bloc des modérés » qui est sans doute plus solide qu’on pourrait l’imaginer, et que la possible alliance circonstancielle des « deux extrêmes » effraie par ses capacités actuelles de visibilité et de cristallisation des mécontentements, alors que ceux-ci sourdent dans le pays plus qu’ils n’éclatent en manifestations bruyantes. Car, malgré les rêves mélenchoniens d’une grande colère sociale d’automne, celle-ci, pour l’heure, a fait long feu, et les blocages de raffinerie ont, sans doute, éteint les ardeurs protestataires potentielles d’un pays réel fatigué de patienter aux pompes à essence pour pouvoir partir travailler. Il n’est pas impossible de penser que ce mouvement social des raffineries a désamorcé toute contestation plus large et assuré une certaine tranquillité automnale à un gouvernement qui craignait d’affronter une forme nouvelle des Gilets jaunes dès septembre-octobre. Cela ne signifie pas pour autant que les mois suivants ne puissent pas être agités, mais la mer sociale semble bien étale malgré les tempêtes géopolitiques et les frayeurs énergétiques, et le prix des carburants à plus de deux euros le litre ne suscite désormais qu’un dépit résigné de la part des conducteurs : cette hibernation de la contestation annonce-t-elle, paradoxalement, un chaud printemps ? A moins que les lycées et universités, fortement travaillés depuis quelques années par les idéologies de l’effacement, n’ouvrent un nouveau front, moins social que sociétal…
Et les royalistes là-dedans ? Leur faible puissance numérique, indéniable, n’empêche ni la réflexion approfondie ni l’action appropriée, et il n’est pas impossible qu’ils forment demain ces « minorités énergiques » que Maurras appelait de ses vœux, et qui peuvent, en certaines circonstances particulières, « faire l’histoire » ou, du moins, la mener vers d’autres horizons que ceux du fatalisme politique et du conformisme consommatoire… En tout cas, ils ne doivent pas rester les témoins passifs du moment, mais réfléchir, proposer, agir sur les terrains sociaux, environnementaux et politiques, non pour seulement contester, mais pour fonder une alternative crédible, politique et institutionnelle, à ce « désordre établi » qui porte le nom de République.
« Seul celui qui propose a droit à la critique », clamait, je crois, Bertolt Brecht : c’est une formule de bon sens, et que tout royaliste peut faire sienne. Des institutions royales, nationales et fédérales ; une organisation politique du territoire fondée sur l’autorité d’un État fort garantissant l’exercice des autonomies provinciales, communales et professionnelles ; une économie d’initiatives et d’ententes, appropriée aux besoins locaux sans être l’otage des multinationales et soucieuse de relever les défis de la mondialisation sans y céder complètement ; une organisation des métiers et des professionnels appuyée sur l’heureuse formule de Jean Bodin, « Il n’est de richesses que d’hommes », et sur des patrimoines corporatifs propres à chacun et indépendants de l’Etat central sans s’abstenir de leurs devoirs envers lui ; une valorisation des énergies propres mais aussi de l’efficacité énergétique (y compris des matières premières fossiles ou non-renouvelables, au moins utiles pour accompagner toute transition vers un modèle le moins énergivore et le moins polluant possible) et de la sobriété dans la consommation ; et tant d’autres propositions qu’il s’agit de transformer en projets concrets, pour que la France assure et assume son indépendance et sa place, son rang dans une Europe inquiète et dans un monde mouvant, voire mouvementé… Voilà du travail pour les mois, les années, les décennies à venir, et cela sans attendre la Monarchie royale, mais tout en y pensant et en préparant son advenue qui sera la meilleure application du « Politique d’abord » et l’incarnation de la liberté française enracinée dans le temps long, celui qui se pense en générations et non en élections quinquennales…
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