Le temps des vacances est le temps des lectures autant que des relectures, et la préparation d’un texte ou d’une conférence les oriente sans totalement les contraindre, la période des congés offrant quelques possibilités de vagabondages livresques autant que de rêveries intellectuelles qu’il s’agit ensuite de ramener à la raison sans se défaire de leur originelle et possible passion… Une prochaine intervention sur le thème du souci environnemental et de la réponse écologique-royale devant les étudiants de l’Université d’été royaliste de l’Action française (le fameux Camp Maxime Real del Sarte, ouvert chaque été depuis 1953…) m’a ainsi permis de sortir quelques ouvrages de ma bibliothèque (la verticale comme l’horizontale) et de replonger aussi dans les articles de quelques revues et collections, comme celles de Limite et de La Décroissance, par exemple, mais aussi du Paysan biologiste, moins connue et plus ancienne, dans laquelle il m’arrive de croiser quelques signatures réputées royalistes. Après tout, l’écologie, avant même d’entrer dans le vocabulaire politique, a souvent été une préoccupation de ceux qui souhaitaient la pérennisation de la magistrature suprême de l’État à travers la succession naturelle du père au fils (dans le cas français et sans préjuger d’évolutions prochaines sur le sexe des futurs monarques, suivant l’exemple des monarchies européennes), mode de désignation politique qui peut apparaître comme la plus simple et la plus naturelle. De plus, les royalistes français ont toujours relié très fortement les notions d’héritage avec la mention de l’héritier, comme le clamait l’Action française : « Sauvegarder l’héritage, ramener l’héritier », ce dernier étant la condition institutionnelle de la préservation du premier…
Dans toute la littérature royaliste d’un Maurras, il est un texte qui m’apparaît, sans qu’il ait été ainsi compris par ses propres lecteurs, comme une sorte de manifeste d’écologie humaine : c’est « l’inégalité protectrice », rédigé en 1937, mais pensé bien avant, sans nul doute. Je l’ai lu en 1981, sous la forme d’une petite brochure à la couverture orange publiée par La Documentation Royaliste de Tours, et ses premières lignes sont souvent répétées comme une sorte de mantra ou de signe de reconnaissance par les militants d’AF ou par les « anciens du 10 » (1) : « Le petit poussin brise sa coquille et se met à courir. Peu de chose lui manque pour crier : « Je suis libre »… Mais le petit homme ? Au petit homme, il manque tout. Bien avant de courir, il a besoin d’être tiré de sa mère, lavé, couvert, nourri. Avant d’être instruit des premiers pas, des premiers mots, il doit être gardé de risques mortels. Le peu qu’il a d’instinct est impuissant à lui procurer les soins nécessaires, il faut qu’il les reçoive, tout ordonnés, d’autrui. » En quelques mots, Maurras cerne la condition humaine et nous rappelle que nous sommes, humains issus d’humains, dépendants d’une nature qui, malgré toutes les technologies possibles, inventées et inventables, ne peut être niée, au risque de violer notre propre humanité qui est, aussi, humilité devant ce qui est avant même que, nous, nous soyons. L’écologie, quand elle s’intéresse à l’homme-type, ne peut négliger ces éléments, et c’est pour cela que les tentatives d’imposer une notion de l’homme « seul maître de lui-même, de son être et de son destin, indépendamment de tous les autres et de tout passé » sont la négation de la nature humaine, et de la nature elle-même (2). Non que nous ne soyons aussi des êtres de culture, possibles créateurs et fondateurs (cela est aussi dans notre… nature !), capables de penser par soi-même et possiblement libres sans être contraints d’user de toutes les formes de liberté que notre nature nous autorise et que notre héritage culturel et notre pensée autonome, individuelle, nous permettent ; mais il importe de nous souvenir d’où nous venons, naturellement parlant, et de nous méfier des constructions intellectuelles ou, même, scientifiques qui oublieraient les conditions premières de la vie et de sa transmission ou voudraient les réduire à une simple opération technique entre les mains de quelques démiurges égotistes ou de grandes sociétés « philanthropiques » du type GAFAM… Cela explique pourquoi je suis fondamentalement hostile aux manipulations génétiques, mentales mais aussi parfois sociétales qui, en voulant s’émanciper de la condition humaine et de ses contraintes (qui peuvent être des limites, sinon infranchissables, du moins utiles pour que la vie en société ne soit pas la lutte de tous contre tous, de chacun contre chacun), en viennent à nier l’humanité même et la possibilité de ses amitiés… En somme, à artificialiser l’homme quand il s’agit, plutôt, de l’instruire, le cultiver, le construire au sens noble du terme.
Le combat politique et en particulier royaliste est aussi un combat pour l’homme, au-delà de la seule dimension institutionnelle. Certains ont pu parler jadis d’une anthropolitique maurrassienne au regard du texte de « L’inégalité protectrice », lui-même inscrit dans un chapitre intitulé « La politique naturelle » de l’ouvrage de Maurras « Mes idées politiques » (3), mais nombre d’autres écrivains et intellectuels s’inscrivent dans cette même anthropolitique sans être maurrassiens : les écrits de Georges Bernanos regroupés dans « La France contre les robots », par exemple, ou ceux des Anglosaxons comme Huxley ou Orwell, voire Rowling, témoignent, par la voie littéraire, des mêmes préoccupations et d’une même appréhension de la condition humaine. Que ceux que je viens de citer, en particulier J.K. Rowling, soient aujourd’hui les cibles d’un courant d’effacement puissant aux États-Unis et relayé en France par quelques groupes artificialistes, en dit long sur les dangers qui menacent notre société ancienne, son esprit et les civilisations qui en sont issues, dont la civilisation française et ses cultures particulières…
Notes : (1) : Il s’agit de l’adresse, depuis 1950, du siège central de l’Action française : le 10, rue Croix-des-Petits-Champs…
(2) : Être « seul maître » ne peut exister, en définitive, qu’après cette transmission d’une génération à l’autre, d’une communauté (famille, tribu, nation, etc.) à l’individu qui, ensuite, peut vouloir s’en défaire (sans, d’ailleurs, pouvoir vraiment oublier tout ce qui a précédé…). Nous savons que les « enfants sauvages », quand est dépassé un certain nombre d’années sans éducation humaine, ne peuvent jamais rattraper les retards cognitifs et intellectuels, et cela quelles que soient leur bonne volonté et les efforts de leurs enseignants.
(3) : Tout cela n’est-il pas éminemment révélateur et symbolique de ce qu’est la nature même de la pensée maurrassienne ?