La revue royaliste "Les épées" vient de consacrer son nouveau numéro, le 18ème, à la notion de "frontière". A l'heure où il est de bon ton de nier son importance et de vanter la mondialisation sans limites, ce numéro évoque quelques thèmes "politiquement incorrects".
Il me semble intéressant de citer quelques extraits de cette revue, signés de l'universitaire E. Marsala : "Recourir à la frontière, c'est se réfugier dans la cape du souverain, en appeler à la volonté et à la politique contre la fatalité et la force. Alors que le libéralisme met en concurrence tous les peuples sous le joug du capital, la patrie apparaît plus que jamais comme la seule richesse du pauvre. La maîtrise de son destin, la défense du bien commun, supposent préalablement l'existence d'une communauté. Or il n'y a pas de communauté libre sans Etat souverain ni d'Etat souverain sans frontière. Aux sceptiques un rappel : parce que la frontière garde un ordre en son sein, elle permet aussi d'y échapper, de le fuir. Parce qu'il est un ailleurs, il y a une liberté possible dût-elle avoir le goût amer de l'exil. Mais lorsqu'il n'est plus de frontières, il n'y a plus que le pouvoir de l'argent et de la force. Lorsque le même oeil regardera par-dessus toutes les montagnes, que la même police contrôlera toutes les foules, alors espérons qu'il restera au moins la frontière du monde sauvage, pour que les forêts offrent aux hommes libres un ultime refuge contre la tyrannie".
Cela me rappelle l'inquiétude de l'écrivain Ernst Junger qui, lui-aussi, craignait ce monde "global", sans frontière ni refuge, et l'idéologie unique de ce monde, idéologie que j'ai jadis qualifié de "globalitarisme", et que, dans son beau roman intitulé "Globalia", Jean-Christophe Rufin dénonce à son tour...
P.S.: voici l'adresse de la revue : www.lesepees.com .
" la patrie apparaît plus que jamais comme la seule richesse du pauvre." ...cette phrase me rappele de bien mauvaises choses....
Rédigé par : loubill | 10 février 2006 à 17:48
"La maîtrise de son destin, la défense du bien commun, supposent préalablement l'existence d'une communauté."
Et celui qui ne veut appartenir à aucune communauté ou qui voudrait adhérer librement à une communauté différente, mais souveraine, de celle qui s'enferme à l'intérieur de ses frontières, je suppose qu'il doit lui aussi goûter à cet ailleurs au si bon goût d'exil...?
Trop facile de dire aux mécontents "allez voir ailleurs si j'y suis". Le droit de l'individu vaut plus que toutes les pseudo constructions politiques !
Rédigé par : GEF/Anton Wagner | 10 février 2006 à 23:17
merci de votre commentaire sur mon blog, je vais lire le votre a mon tour. je partage votre commentaire sur mon article sur arcelor, surtout, je crois qu'il fait definir un jeu et en respecter les regles et non les changer suivant les cartes que l'on a en main. je ne suis pas 100% capitaliste ou 100% anti capitaliste , mais il n'y a rien de pire que de vouloir adapter les regles aux circonstances. si le capitalisme francais veut definir une regle differente pourquoi pas, definissons et restons dans cette logique. mais ne profitons pas quand cela nous convient d'une regle et d'une autre quand c'est moins favorable.
Rédigé par : gerard | 11 février 2006 à 10:31
Pour loubill: la phrase en question est inspirée par une remarque de Jean Jaurés, et je ne vois pas ce qu'elle a d'inquiétant, bien au contraire! La suite du propos illustre en partie cette phrase.
Pour GEf:je pense qu'il n'y a, et l'Histoire le montre toujours, de droit pour l'individu que lorsqu'il y a un Etat pour le garantir. Un individu isolé n'a de droits que si la communauté les lui permet; seul, l'individu ne peut qu'être écrasé par ceux qui ont plus de force que lui, et qui ne se sent limité par aucune autorité légitime. Je pense qu'il ne faut pas opposer Etat et individu, mais trouver la (ou les) formule politique qui permette l'harmonie entre la liberté et le moyen politique de la garantir, pour tous, y compris les plus "faibles".
D'autre part, il y a souvent un lien méconnu entre individualisme et totalitarisme (mais c'est aussi valable pour ce que je nomme le Globalitarisme) qui, a contrario, montre la nécessité d'un "Etat juste" pour éviter les dérives autant de l'individualisme que du communautarisme ou de l'étatisme.
Je comprends néanmoins votre inquiétude et votre attachement, qu'il me semble que je partage, aux libertés individuelles. Mais je pense que le Politique a un rôle à jouer dans cette partie délicate, surtout à l'heure où les nouvelles technologies et une certaine "économie sauvage" se font de plus en plus pressantes dans nos sociétés.
Rédigé par : J.-P. Chauvin | 11 février 2006 à 13:40
"il y a souvent un lien méconnu entre individualisme et totalitarisme"
>>>C'est un point de vue intéressant... et assez surprenant. Pourriez-vous le préciser?
"Je pense qu'il ne faut pas opposer Etat et individu, mais trouver la (ou les) formule politique qui permette l'harmonie entre la liberté et le moyen politique de la garantir, pour tous, y compris les plus 'faibles'."
>>>L'histoire semble indiquer que l'Etat est le plus grand violateur des droits humains, en fréquence et en quantité. Y compris dans les régimes démocratiques censés plus respectueux. En France, par exemple, on ne compte plus les lois interdisant l'expression de telle ou telle opinion...
Les différentes théories politiques récusant la tyrannie ont cherché à contourner ce fait avéré que l'Etat est une force de contrainte qui s'impose aux individus libres par nature. La parade a consisté à évoquer un contrat social aussi mythique que mystique : quel contrat avez-vous signé ? Quel contrat ai-je signé ? Personne n'a jamais signé quoi que ce soit, et pourtant on entend sans cesse parler de contrat social, politique, etc. Si donc cela ne marche pas dans un régime démocratique, j'éprouve des difficultés à voir comment une monarchie pourrait résoudre le problème et réaliser cet "Etat juste" (sur quel concept fonder l'obéissance ?), même si la monarchie à laquelle vous pensez n'a rien à voir avec le despotisme, l'absolutisme, etc.
Rédigé par : GEF/Anton Wagner | 12 février 2006 à 19:20
L'intérêt d'une Monarchie telle que je la souhaite est, entre autres, de permettre une subsidiarité réelle: autant l'Etat joue un rôle d'impulsion et d'arbitrage dans les affaires diplomatiques et de Grande politique, autant, de par son indépendance statutaire (la naissance ne s'achetant pas), elle peut redonner des pouvoirs (libertés et franchises) aux communautés locales, communales, provinciales, mais aussi socioprofessionnelles ou universitaires. Libertés publiques ainsi effectives, avec avantages et risques de celles-ci.
Sur le thème de la liberté absolue des individus, je reste prudent: je ne suis pas certain qu'elle soit toujours une bonne chose, car elle risque de tourner vite à la loi de la jungle ou à "l'économie sauvage": or, n'est-ce pas une régression, en particulier dans le domaine social ? Le garde-fou, c'est la loi et l'Etat pour la faire appliquer, fût-elle aussi, et cela arrive, injuste: mais l'existence de l'Etat, quand elle se légitime par le "service rendu" et ses "devoirs" civiques, est le moyen d'éviter que l'individualisme ne tourne à la guerre de tous contre tous. Constatons que là où l'Etat faiblit, ce n'est pas toujours la justice qui triomphe ni même le respect public des libertés, mais la loi du plus fort, la "libre loi de la jungle", ou, selon la formule célébre:"le renard libre dans le poulailler libre".
Je ne méconnais pas la difficulté de faire advenir "l'Etat juste", mais il me semble que le défi d'une nouvelle Monarchie est justement d'établir cet "Etat juste", après les terribles expériences qui ont parcouru le siècle dernier, et en sauvegardant le meilleur des libertés privées et publiques.
Rédigé par : J.-P. Chauvin | 12 février 2006 à 21:41
Je reparlerai prochainement du lien entre totalitarisme et individualisme, lien qui n'est pas, d'ailleurs, inéluctable mais, malheureusement, qui peut se révéler comme on le voit dans certaines sociétés du XXe siècle, voire du XXIe... (cf "le meilleur des mondes" de Huxley).
Rédigé par : J.-P. Chauvin | 12 février 2006 à 21:44
"Constatons que là où l'Etat faiblit, ce n'est pas toujours la justice qui triomphe ni même le respect public des libertés, mais la loi du plus fort, la 'libre loi de la jungle', ou, selon la formule célébre:'le renard libre dans le poulailler libre'."
>>>Certes. Toutefois, si là où la disparition (ou l'affaiblissement) de l'Etat a engendré le chaos, c'est peut-être parce que cette disparition n'a pas été faite dans les bonnes perspectives, par les bonnes personnes et de façon maîtrisée... L'inividualisme absolu est un leurre, et je ne connais pas de courant politique en faisant l'apologie. Le libéralisme n'a jamais prétendu sacrer un pareil individualisme, car il le subordonne toujours au stricte respect des droits fondamentaux d'autrui. Comment savons-nous qu'une société fondée sur un principe aussi intelligible pour tous, et néanmoins sans Etat ou presque, ne serait pas viable?
Rédigé par : GEF/Anton Wagner | 13 février 2006 à 13:58
Le strict respect des droits fondamentaux d'autrui n'est malheureusement pas respecté lorsque les individus ne voient que cette limite évoquée, car qui va la faire respecter? D'autre part, nous savons que cette formule est piégée puisque la simple discussion est parfois considérée par certains comme un empiétement inadmissible sur leur liberté, y compris celle de croire. Je pense que le débat actuel sur les caricatures de Mahomet montre bien les incompréhensions qui peuvent naître sans que, au départ en tout cas, l'Etat (ici danois) n'y soit pour quelque chose... D'où la nécessité, même si elle peut paraître lourde (mais la raison d'Etat ne vaut que selon l'Etat que l'on considère, et "l'Etat" peut prendre des formes fort différentes...), d'un Etat que je souhaite, pour ma part, "minimal" mais ferme, pour permettre justement l'exercice des libertés que vous défendez.
Rédigé par : J.-P. Chauvin | 13 février 2006 à 14:08
Bien sûr, et malheureusement, les hommes ne respectent pas autrui par le seul fait qu'on le leur demande (bien que je pense que l'immense majorité des gens le font assez spontanément) : il faut un pouvoir de contrainte, une justice, etc. Mais pourquoi vouloir que ce soit nécessairement un Etat qui assure le respect des règles de vie commune. Par exemple, dans une copropriété, ou dans une ville privée comme il en existe aux Etats-Unis, c'est un syndic qui édicte les règles et veille à leur respect. Et là, l'obéissance est réellement contractuelle (bail de location). Je ne dis pas que c'est une solution universelle, bien sûr, ni que c'est aussi simple, mais cela laisse penser que l'Etat n'est pas forcément la seule autorité d'arbitrage et de régulation qui puisse régir une société humaine.
Rédigé par : Anton Wagner | 13 février 2006 à 21:44
Ces syndics ne sont rien d'autre que des minis Etats...
L'Etat est un phénomène résurgent et obligatoire, et cela à cause de la nature même des relations entre hommes : les différences sont infinies, et les clivages vont de pair. L'Etat est une sorte de donnée commune, qui s'affilie les uns par l'adhérence et les autres par l'opposition. Une sorte de truchement aux relations humaines, en quelque sorte.
Enfin, bon, je suis totalement stone.
Rédigé par : Hugo | 13 février 2006 à 23:10
Objectivement, la différence entre ces syndics, ou d' autres formes d' organisations plus ou moins libertariennes et l' Etat tel qu' il existe aujourd' hui est fondamentale: elles ne sont pas imposées. Qu' on le veuille ou non, je pense que l' Etat limite les libertés insividuelles, ne serait-ce que par l' imposition par exemple, indispensable à son fonctionnement.Je ne comprends pas la nécessité d' une "donnée commune", si elle est imposée à certains!
Après, une société sans Etat serait-elle viable, l' homme est-il capable d' assumer une liberté quasi totale? Et la "main invisible" fonctionnerait-elle? Ce sont d' autres questions auxquelles je me garderais bien de répondre.
Rédigé par : | 15 février 2006 à 14:41
C' était moi.
Rédigé par : Pentagramme | 15 février 2006 à 14:43
"Ces syndics ne sont rien d'autre que des minis Etats..."
D'une certaine manière oui, car ils assurent un ordre et une gestion. Mais il y a beaucoup pour qu'ils soient de vrais Etats. Un Etat implique une identité nationale par exemple.
Maintenant, les libertariens ne sont pas hostiles à ce que des gens vivent sous la protection d'un véritable Etat, à la condition qu'ils laissent en paix les autres.
Rédigé par : Anton Wagner | 16 février 2006 à 10:56
Le débat sur la place de l'Etat est un débat important et j'ai l'intention d'y consacrer une prochaine note. Je relis quelques textes de Bertrand de Jouvenel sur ce sujet.
Rédigé par : J.-P. Chauvin | 18 février 2006 à 17:16