Je suis en train de lire un excellent numéro de la revue Géopolitique daté de janvier-mars 2005 sur "le politiquement correct". Au regard des débats actuels sur la liberté d'expression, les communautarismes et les "idéologies dominantes" (autre formulation de la "pensée unique"), ce numéro est fort intéressant pour se prémunir contre les discours convenus ou conformistes.
J'ai accordé beaucoup d'attention à l'entretien avec le philosophe Pierre Manent, intellectuel brillant et spécialiste libéral (au sens classique et honorable du terme) du libéralisme, qu'une de mes collègues, surveillante au Collège, m'a évoqué comme une personne à lire absolument. Je retiens quelques phrases fort éclairantes sur notre société et les dégâts du "politiquement correct" en son sein : "Dans le cas du "politiquement correct" qui nous occupe, (...) nous sommes tenus aujourd'hui de montrer notre adhésion à des principes, de la manifester dans toutes les circonstances, et surtout d'en mettre en oeuvre l'application sans repos et sans limite. (...) Cette discipline implique une rééducation continue des actions, des paroles, des comportements, dont chacun est à la fois l'instituteur et le vérificateur vis-à-vis des autres. Nous sommes chargés de nous enseigner les uns aux autres une interprétation extrême de la ressemblance humaine. Non seulement nous sommes très au delà de l'égalité des droits mais nous sommes prêts à violer l'égalité des droits pour imposer la ressemblance. Car tel est le fond de cette doctrine. Il s'agit de transformer la société en une machine qui proclame et vérifie un unique principe : chaque être humain est le même que tout être humain. Tout jugement qui distingue, tout jugement qui préfère, tout cela doit être abjuré, traqué et éventuellement réprimé. (...)
L'idée que l'on puisse reconnaître une égale humanité dans des versions différentes de cette humanité est rejetée en dépit de tous les discours sur le "droit à la différence".
(...) Non seulement l'idée de la ressemblance humaine pèse sur le présent et l'avenir pour paralyser ou déterminer la décision, mais elle reflue vers le passé et conduit à réécrire l'Histoire."
Ainsi, par le "politiquement correct", on arrive justement à cette réécriture de l'Histoire qui s'impose, parfois violemment et contre toutes les règles même de la science historique, aux historiens, sous peine d'être traînés devant les tribunaux... L'affaire récente de Pétré-Grenouilleau, spécialiste des traites négrières, est là pour le prouver.
En tout cas, pour mon compte, faire de la politique, c'est dépasser et, même, refuser cette idéologie du "politiquement correct", au risque de ne pas toujours être compris et, donc, parfois de choquer. Mais il me semble que le combat politique c'est d'assumer ses choix et vouloir les réaliser, avec à la fois audace et humilité.
Je peux juste donner l'adresse courriel de Géopolitique mais je ne sais pas si la revue peut mettre à disposition ses articles. [email protected] . Les phrases évoquées dans cette note sont extraites du Géopolitique nUméro 89; janv.mars 2005; pp. 12 à 18. Numéro disponible au prêt dans de nombreuses bibliothèques et au CDI du lycée Hoche, où je l'ai emprunté.
Rédigé par : J.-P. Chauvin | 07 février 2006 à 22:37