Depuis quelques jours, une véritable tempête médiatique s'est levée dans les pays européens comme musulmans à propos d'une douzaine de caricatures du Prophète Mahomet, publiées à l'origine dans un grand journal danois, puis reprises par de nombreux journaux en Europe (mais pas au Royaume-Uni). En fait, le débat qui s'engage (fort mal, d'ailleurs...) porte sur la liberté d'expression face à la foi religieuse, et il n'est pas anodin. Mais il concerne surtout l'Islam, si l'on s'en tient à l'objet du scandale.
Je dois avouer ma surprise quand j'ai lu dans la presse, ces jours derniers, que Mahomet ne pouvait être représenté, et que c'était là la vraie raison de la colère des musulmans : en effet, j'ai souvenir d'avoir travaillé avec des manuels scolaires qui montraient des scènes de la vie du Prophète, peintures souvent d'origine persane d'ailleurs. Un intéressant entretien paru dans le journal Libération ce vendredi 3 février avec Abdelwahab Meddeb, professeur de littérature comparée à l'Université Paris-X confirme mon souvenir (d'ailleurs encore frais, puisque j'ai montré à l'une de mes classes de Seconde une de ces images de Mahomet, datée du milieu du Moyen-âge): "La seule chose qu'on ne trouve pas en islam, c'est la représentation de Dieu. Celle-là est absente. Pour le reste, on a absolument tout. (...) Pour revenir au prophète de l'islam, nous avons des représentations directes. (...) Ce n'est que par la force de la coutume que la représentation du prophète est devenue taboue. Mais elle l'a été surtout dans le monde arabe, et ne l'a jamais été dans l'espace turc ou en Asie centrale". En fait, il semble que la colère musulmane soit surtout instrumentalisée par quelques groupes et par des Etats qui cherchent à montrer leur différence d'avec l'Occident, principalement pour des raisons de politique intérieure: je viens de discuter avec un de mes amis musulmans qui m'a confirmé cet aspect des événements récents.
Si l'on revient sur les caricatures, il ne faut pas oublier que leur principe de base est de moquer, parfois discréditer ou dénoncer, ce qu'elles prennent comme modèle et "bouc émissaire". Je travaille d'ailleurs actuellement sur des caricatures publiées dans les années 1880 par la revue satirique royaliste "Le Triboulet": La République y est représentée sous les traits d'une véritable mégère, laide à souhait, une Marianne bête et méchante... Régulièrement, ces dessins peu respectueux pour la République étaient purement et simplement censurés et remplacés, sur ordre de la Censure officielle, par des carrés blancs. S'ils étaient republiés aujourd'hui, il n'est pas impossible que certains républicains sourcilleux ne hurlent pas de la même façon qu'un certain nombre d'islamistes.
Dans cette affaire des caricatures danoises, il est à noter qu'il y a des incompréhensions et des aveuglements mutuels : certains parlent de la liberté d'expression, d'autres évoquent le respect des croyances. Sans doute faut-il accorder les deux et non les opposer violemment; il faut surtout "savoir raison garder", comme le rappelle cette formule des rois capétiens. J'ai vu les fameuses douze caricatures de Mahomet, elles ne m'ont pas paru choquantes, même si deux d'entre elles peuvent être considérées comme douteuses ou de mauvais goût. Plus choquant était, cette semaine, l'incendie criminel d'une petite chapelle fraîchement restaurée par des "satanistes" ou se proclamant tels, dans le Morbihan. La haine, qu'elle soit religieuse, athée ou simplement stupide, est la pire des maladies qui puisse atteindre une société.