Ce qui se passe au sommet de l'Etat depuis vendredi 31 mars est marqué du sceau de l'inédit, comme le soulignent de nombreux commentateurs politiques : le président de la République promulgue une loi dont il demande, contre toute attente et surtout toute logique, la non-application d'un article, celui sur le fameux CPE, tandis qu'il déssaisit le Premier ministre du dossier en le "refilant" à son "meilleur ennemi", M. Sarkozy, et aux parlementaires de l'UMP.
N'est-ce pas là une véritable "révolution", une régression vers le modèle de la IVème République quand le Parlement, sensible parfois aux mouvements de la rue (jamais très éloignée alors de l'urne...), dictait sa loi sans que l'Etat ne puisse être autre chose qu'une sorte d'exécutif privé de la faculté de décider et de s'imposer ? Cette nouveauté dans la pratique institutionnelle de la République fondée par De Gaulle n'est ni rassurante ni attrayante, et ses conséquences, si elle devait devenir une "habitude", seraient la mort pure et simple de l'esprit, voire de la réalité même, de la Constitution gaullienne.
Le royaliste que je suis devrait se réjouir d'une telle situation, me souffle-t-on. Il y a là une erreur de perspective : à la suite de Maurras, qui n'a pourtant pas toujours suivi sa propre théorie, je pense que "la politique du pire est la pire des politiques". Bien sûr, que la République s'empêtre dans ses contradictions me confirme dans mes choix et mes raisons, et me paraît appeler un changement radical dans la conception de l'Etat, sa légitimité et la distribution des pouvoirs dans notre société. Cela étant, je ne souhaite pas que le bébé soit emporté avec l'eau du bain et que, de l'esprit "monarchique" (certes incomplet et ambigü) de la Vème République, on tombe ou retombe dans un système présidentialiste étranger aux traditions politiques de la France ou dans les errements d'un parlementarisme dont la IIIème et la IVème Républiques ont donné une bien fâcheuse illustration.
Je ne souhaite pas que, du "semble-Etat" contemporain (selon l'expression de Pierre Boutang), on passe à un "Etat-proie" ou à un Etat simplement fiscal... Je ne souhaite pas cette VIème République qu'évoquent certains en rêvant à la IVème et aux idées de Mendès-France.
Le meilleur moyen de sauver "l'essentiel de l'Etat" et de lui redonner un coeur et une âme qui remplissent l'enveloppe aujourd'hui presque vidée par celui qui aurait dû en être le garant et le chef, c'est encore d'instaurer une nouvelle légitimité à la tête de l'Etat et de l'ancrer, par la succession héréditaire, dans la continuité tout en lui donnant les moyens de l'arbitrage et de la décision. "Sub rege, rei publicae", disait-on jadis : la formule, en latin comme en français, reste d'une étonnante actualité et, plus important encore, d'une grande nécessité...
- Ne soyons pas trop dur avec nos dirigeants ! On sait que l'action exige le manichéisme. Néanmoins, on peut essayer de comprendre un point de vue sans le partager.
Les royalistes ne sont plus aux affaires (l'ont-ils été depuis 1871 ?). Peut-on militer pour le royalisme comme on peut militer pour le communisme, le libéralisme, le socialisme ou le centrisme ? Monsieur Chauvin vous avez tenté un retour avec des élections législatives, je crois. Mais je me demande si le bon niveau n'est pas le municipal (et, peut-être, le départemental). C'est en effet au niveau municipal qu'on est le plus en contact avec la population ; l'idée royaliste pourrait être ré-acclimatée à la France d'aujourdhui. A vérifier...
Rédigé par : JCGB | 07 avril 2006 à 12:23
Sur le constat d'un actuel changement institutionnel (sans le nom !), je suis d'accord avec vous ; mais il me semble que la principale transformation ayant eu lieu dans cette crise est la perte de légitimité du pouvoir : une loi qui ne doit pas être appliquée (quelle légitimité pour le Parlement ?), un Président qui n'arrive pas à s'imposer malgré ses fameux 82% (quelle légitimité pour l'élection présidentielle ?).
Quant à la perte de l'esprit de la Constitution, ne vous faites pas d'illusion !!! Il a disparu en 1986 lorsque Mitterrand a inventé la cohabitation (il s'est soumis au lieu de se démettre !).
Bien sûr que le royalisme a un avenir, s'il sait s'imposer sur la question de la LEGITILMITE !
Rédigé par : Ph. FRANCESCHETTI | 07 avril 2006 à 15:10
Effectivement, l'échelon municipal peut être une base de départ: c'est une piste à travailler. Il y a aussi un travail intellectuel et de présentation-proposition à faire, en particulier sur la Toile, nouveau vecteur de diffusion des idées.
Le sens de la Constitution a effectivement changé avec la première cohabitation, mais, aujourd'hui, la situation est un peu différente, car elle n'est même pas le fait d'une élection législative perdue par le gouvernement en place. Quant à la légitimité, il est vrai que cette question est fondamentale dans la problématique institutionnelle, et les travaux de Boutang ont déjà ouvert quelques pistes...
Rédigé par : J.-P. Chauvin | 07 avril 2006 à 18:17
- Participez-vous au livre blanc proposé par le Comte de Paris ?
Rédigé par : JCGB | 07 avril 2006 à 18:58
Je compte m'y intéresser durant la quinzaine qui vient, profitant des vacances scolaires.
Rédigé par : J.-P. Chauvin | 07 avril 2006 à 19:21
Pouvez-vous me donner les références des travaux de BOUTANG que vous aviez en tête en me répondant ? MERCI !
Rédigé par : Ph. FRANCESCHETTI | 07 avril 2006 à 19:36
Le président actuel de la République n'a pas de légitimité. Comme le montre un calcul très simple fait dans Steppique Hebdo (cf. http://steppiquehebdo.blogspot.com/2006/04/le-livre-blanc-de-sgolne.html), le socle sincère de Chirac au départ - c.a.d au 1er tour de 2002 - n'est que de 1 Français sur 8.
Et peut-être 1/9 ou 1/10 si on ajoute tous les résidents dans le pays en âge d'exprimer un choix politique.
Le steeple chase présidentiel est un match de coupe.
La fonction est légale !
Le titulaire est impuissant !
Rédigé par : catoneo | 07 avril 2006 à 23:20
Deux livres importants de Boutang qui évoquent ce thème : "La politique", livre de 1948; "Reprendre le pouvoir", paru dans les années 70, je crois, aux éditions Hallier.
Rédigé par : J.-P. Chauvin | 08 avril 2006 à 17:38
Erreur de ma part: "Reprendre le pouvoir" a été édité par "Sagittaire". Je pense y consacrer, par le biais du thème de la légitimité, une note prochaine.
Rédigé par : J.-P. Chauvin | 10 avril 2006 à 16:33