J'étais hier soir à Levallois-Perret pour présenter mon analyse et mes propositions sur la crise des banlieues (j'en reparlerai ultérieurement, car le sujet est d'importance). De Paris nous parvenaient, par téléphones interposés, les échos assourdis des "événements" : la déclaration de M. Chirac et les manifestations spontanées qui sillonnaient la capitale. Mais ces échos tournaient vite à la rumeur : "il y a des barricades dans Paris"; "l'assemblée nationale est encerclée"; "la police est débordée"...
Les rumeurs font-elles l'Histoire ? On se souvient de celles qui précipitèrent des Parisiens survoltés dans les rues à partir du 12 juillet 1789 ou de celles qui provoquèrent l'assaut des émeutiers, un certain 14 juillet, sur la vieille forteresse médiévale de la Bastille : une série de malentendus, mêlés de mauvaise foi, de peurs et de passions parfois généreuses, et ce jour d'été devient le plus célèbre de l'Histoire de France...
Il y a aussi des coïncidences amusantes : à l'heure où Paris était censé être un vaste champ de bataille, une sorte de "février 1848" vaguement modernisé avec M. Chirac dans le rôle du roi Louis-Philippe, j'avais dans mon cartable un paquet de copies de Première S, une "étude de documents" sur une autre émeute sanglante, le 6 février 1934... Le sujet de la synthèse, "le 6 février 1934 : une crise révélatrice de la troisième République ?" (tout un programme!), était accompagné de documents divers, textes et caricatures, en particulier celle présentant Daladier (président du conseil, membre du parti radical) et Frot (ministre de l'intérieur, prédécesseur lointain de Nicolas Sarkozy), apeurés et cachés derrière un garde mobile aux pistolets menaçants, avec, en arrière-plan, la Chambre des députés, celle-là même dont le dessinateur Paul Iribe évoquait la "dissolution" par un immense poing (le "poing final") abattant les colonnes du Palais-Bourbon, et dont il décorait le fronton, dans un autre célèbre dessin, d'un rude jeu de mots : "Parle Ment"...
Les rumeurs de la nuit du 6 au 7 février 1934 annonçaient, après les coups de feu de la soirée, "cinquante morts", et "l'Action française", le quotidien de Maurras qui avait dénoncé le premier le scandale Stavisky, titrait : "Paris couvert de sang"... dans une exagération toute "provençale"... mais qui s'expliquait par le désordre ambiant. Hier soir, même si les rumeurs, souvent relayées et amplifiées par la Toile, annonçaient une "situation insurrectionnelle" ou, selon d'autres, une grande "fête révolutionnaire", aucun drame n'est venu endeuiller, fort heureusement, ce chahut nocturne qui voisinait avec les "sorties" traditionnelles du vendredi soir. Ainsi, à quelques mètres du monôme étudiant, les cafés étaient pleins à craquer d'une foule jeune et bigarrée qui se moquait bien du CPE, de M. Chirac ou de Mai 68...
La manifestation semblait traverser Paris dans une complète indifférence : c'est ce qui m'a le plus marqué lorsque je me suis rendu, avec quelques amis royalistes, dans le Quartier latin. Seuls quelques touristes, plus amusés qu'inquiets, prenaient des photos avec leurs téléphones portables : la presse anglo-saxonne leur avait annoncé Bagdad ou Tien-an-Men, c'était juste une soirée de carnaval, sans même les déguisements...
J'ai eu la nette impression que, même dans les (rares) slogans criés ou chantés, le CPE était bien oublié, et qu'on était loin des émeutes des semaines passées. L'Elysée ne sera pas les Tuileries, et M. Chirac a pu s'endormir tranquille, peut-être bercé par les paroles de "La Royale", cet hymne royaliste chanté sous les fenêtres du Président pendant quelques minutes par une poignée de joyeux drilles inspirés par la tradition de chahut des "Camelots du Roi", des monarchistes qui jusque là n'avaient pas éveillé l'attention des forces de l'ordre et, ainsi, ont pu s'approcher, en cette "chaude soirée" du 31 mars, du Palais pourtant le mieux gardé de la République... (Anecdote totalement authentique, ce n'est pas un poisson d'avril, malgré la date de rédaction de cette note).
Ce matin, "à la fraîche", je me suis promené dans un Paris désert, passant sous les arcades de la rue de Rivoli, traversant le jardin desTuileries et franchissant le pont de la Concorde, celui-là même que les manifestants du 6 février 1934 n'ont pu dépasser... Quelques rayons de soleil glissaient sur les tôles blanches des cars de police et les calots noirs et bleus des forces de l'ordre chargées de la protection de l'Assemblée nationale. Un petit matin tranquille : j'en ai profité pour, sans même d'ironie, finir mes corrections du devoir de Première évoqué plus haut...
Et le cafetier, témoin des événements de la veille, a soupiré, vaguement sarcastique, en me servant un "café-croissant" : "la révolution n'est plus ce qu'elle était"... Je ne sais pas vraiment s'il faut s'en plaindre...
Salut M'sieur, vous allez bien?
Notre commentaire n'aura rien à voir avec ce que vous avez marqué, nous voulions juste vous passez un petit bonjour... Est-ce que votre café-croissant était bon?(Marie tient préciser que la question vient de Pauline).
On vous retrouve lundi dans la joie et la bonne humeur...
Marie et Pauline
Rédigé par : pauline b. et marie p. ...(2nde 11et 3) | 01 avril 2006 à 21:47
sympa le petit message au dessus...
j'aime bien ce côté nostalgique de tes notes lorsque tu évoques les quartiers parisiens... ça donne envie d'y être...
Rédigé par : Acrerune | 01 avril 2006 à 21:52
Tiens, je ne pus placer un poisson d'Avril débile, hier.
Mon wifi desservira toujours mes plus nobles aspirations.
Vous parlâtes, cher professeur, d'un café politique? Je vous supplie de nous renseigner mieux sur la matière...
(Je devins fan du passé simple).
Rédigé par : Hugo | 02 avril 2006 à 10:18
Ca me fait penser a une remarque qui bien entendue était dans la lignée du programme de seconde. Vous parliez de la constitution, et du role des cafetiers dans la défense du non. Les cafetiers les "revélateurs d'une ambiance".
Rédigé par : Clément. | 02 avril 2006 à 18:43
En parlant de cafetiers, certain même font de leur blog une taverne!!
Tiens JP une note et une image... http://www.u-blog.net/anyhow/note/783
A+++
Rédigé par : Acrerune | 03 avril 2006 à 16:42