L’actuelle affaire Clearstream ressemble à un mauvais roman d’espionnage dans lequel il n’y aurait pas vraiment de héros mais seulement des corbeaux, des manipulateurs, des barbouzes et des victimes, sans qu’on arrive très bien à discerner quel est le rôle de chacun des protagonistes
En tout cas, cela crée une ambiance fort malsaine et donne à la « fin de règne » chiraquienne un aspect des plus douteux, ce que la presse étrangère se dépêche d’évoquer, dans une sorte de curée médiatique de mauvais aloi. Les journaux français eux-mêmes ne sont pas en reste, et la lecture de Libération ou du Monde ne réconcilie guère avec un système qui semble, mais ce n’est pas la première fois, en grande disgrâce, voire à l’agonie
En tout cas, le feuilleton Clearstream et ses multiples rebondissements peuvent rappeler, toutes proportions gardées, l’agitation politique et urbaine liée à l’affaire Stavisky, en 1934, et qui a débouché sur la journée d’émeutes du 6 février. J’y pense d’autant plus que je suis en train de corriger depuis mercredi une étude de documents (classe de Première) sur ce sujet historique. Parmi les documents, une affiche montrant l’effondrement de la Chambre des députés et réclamant une « révision de la constitution » ; un article du Canard enchaîné dénonçant les collusions entre Stavisky et les milieux politiques et gouvernementaux de la IIIe République ; une photo (célèbre) d’un lanceur de pavé (sans doute monarchiste) face aux gardes à cheval sur le pont de la Concorde ; deux coupures de presse du 7 février relatant, chacune à leur manière et de façon très antagoniste, les événements de la veille : l’une extraite de « L’Action française », l’autre du « Populaire » (organe socialiste). Ainsi, 72 ans après, la République désormais « cinquième » du nom, semble prise dans les mêmes tourments et les mêmes accusations de corruption et de manipulations : tout ce que De Gaulle, comme Maurras ou Bernanos, reprochait à la IIIe République, se réalise à nouveau sous ce quinquennat chiraquien. Frédéric Rouvillois, universitaire désormais parisien et avec lequel j’ai quelques souvenirs militants, écrit dans « L’Action française » de cette semaine que l’ « on est sorti de la monarchie républicaine qui faisait tout l’intérêt de la Ve République. « Chirac donc n’agit plus ou pratiquement plus : son bronzage insolent en est un indice caricatural. Malgré ce statut de « président fainéant », le président de la République est encore perçu comme trop puissant par rapport au Parlement». Cette déchéance du rôle du Chef de l’Etat dans la pratique institutionnelle s’aggrave encore, et la VIe République (dans laquelle le Parlement serait le maître), réclamée par certains (comme à chaque veille d’élection présidentielle
) ne ferait qu’envenimer les problèmes et les conflits au lieu de les résoudre. Je regarde à nouveau l’affiche de 1934 et la photo de l’émeute : oui, il faut réviser la Constitution, mais dans un sens plus « monarchiste » ; oui, il faut, parfois, se révolter, mais pour fonder, pas seulement pour détruire. Puisque la Ve République souffre de ne plus être assez ce que De Gaulle souhaitait qu’elle soit, sans doute faut-il la « penser différemment » et externaliser la magistrature suprême de l’Etat pour la dégager de la boue comme de l’inaction : en somme, en prolongeant les propos de Rouvillois, lui rendre son aspect monarchique, pas seulement dans l’apparence mais aussi dans le statut même du Chef de l’Etat.