En lisant les numéros de « La Croix » de la semaine dernière, je tombe sur un texte d’un écrivain bien oublié aujourd’hui et qui fut pourtant l’un des plus connus à la fin du XIXe siècle, Paul Bourget. Oublié de nos contemporains, y compris des royalistes alors même qu’il fut un des premiers soutiens de L’Action française naissante. Mais il a laissé quelques beaux textes, dont celui publié par le quotidien catholique dans son édition du 23 août et qui porte sur les villes d’Angleterre au moment de la Révolution industrielle. Je pense d’ailleurs l’intégrer à mes références pour le cours de Première qui porte sur ce thème. Ce texte nous montre l’Angleterre sous un jour fort sombre, plongée dans la pollution industrielle et la rigueur d’un labeur contraignant, dénoncé aussi par un contemporain états-unien et marxiste (mais qui me semble un des plus grands et des plus intéressants écrivains de son temps, et que j’aime lire
), Jack London.
En voici quelques extraits révélateurs qui rappellent a posteriori combien l’industrialisation de l’Angleterre fut rude pour ceux qui l’ont vécue, mais qui sont aussi d’une étonnante (et malheureuse) actualité si l’on regarde de plus près ce qui se passe en Inde et en Chine, dans ces pays qui vivent aujourd’hui une véritable mutation industrielle, pas toujours respectueuse, ni des hommes ni de l’environnement
:
« Rencontrerez-vous ailleurs qu’en Angleterre de ces énormes villes noires qui s’éveillent le matin sous un ciel fuligineux, où de la poussière de suie semble diffuse ? (
)
Pluie, fumée ; vitesse
et dur labeur ! J’ai ce sentiment une fois de plus, en errant, dans l’intervalle de deux trains, le long des rues de Bristol qui s’éveille. (
)
Et puis le train de nouveau m’emporte, vers Manchester, cette fois, traversant avec son habituelle rapidité des villes énormes, bâties de briques rouges. Aux approches de Birmingham, quinze lignes filent, parallèles les unes aux autres. (
) Les tuyaux d’usine, serrés en forêts, poussent leur suie noire sur le fond déjà si noir de ce ciel. (
)
Les ouvrières rentrent de l’atelier, sanglées dans leur manteau de drap brouillé. Leur bouche a presque toujours ce pli contracté qui achève en un sourire à demi douloureux tant de physionomies de femmes anglaises. On dirait que le pesant labeur héréditaire de la race laisse quelque chose de sa peine sur les visages énervés de ces femmes. Des haillons passent, des figures affamées, des pieds nus. De l’un des ponts du vieux quartier, on peut voir l’eau de la rivière couler, lente et noire, serrée entre des maisons humides, chargée de toute l’impureté des usines, et transformant ce coin de cité manufacturière en une ignoble Venise, sans gondoles, sans palais et sans soleil ! »
En lisant ces lignes, écrites en 1910, on frissonne de penser, qu’un siècle plus tard, elles peuvent s’appliquer à certaines grandes métropoles chinoises, comme l’ont montré Luc Richard et Philippe Cohen dans leur dernier livre, « La Chine sera-t-elle notre cauchemar ? Les dégâts du libéral-communisme en Chine et dans le monde ». Comme si les améliorations de la condition ouvrière dans nos pays d’Europe restaient inconnues, ou lettre morte, dans les pays du Sud : la mondialisation n’est pas la même chance pour tout le monde, semble-t-il
"la mondialisation nest pas la même chance pour tout le monde, semble-t-il "
Surtout quand le pays est géré par une clique dictatoriale comme en Chine... D'ailleurs, c'est assez drôle d'entendre parler de "libéral-communisme" en Chine. Cela n'a strictement aucun sens...
Rédigé par : Anton Wagner | 31 août 2006 à 00:43
Effectivement, c'est une dictature communiste mais cela n'empêche pas les multinationales d'y investir massivement, y compris en fermant les yeux sur les conditions sociales terribles qui y règnent: le livre de Richard et Cohen est révélateur de ce côté-là... Ils expliquent de façon fort convaincante ce qu'ils appellent "libéral-communisme".
Les prochains JO ont d'ailleurs lieu à Pékin en 2008 et les libéraux ne protestent pas vraiment, puisqu'ils vantent (cf la radio BFM) la "réussite chinoise" et veulent profiter des jeux pour "faire des affaires" avec le Grand Marché chinois. Les Tibétains sont tout autant oubliés que les ouvriers chinois, en particulier les "mingong", travailleurs migrants venus des campagnes et surexploités, y compris par des marques françaises...
Rédigé par : J.-P. Chauvin | 31 août 2006 à 17:55
"les libéraux ne protestent pas vraiment, puisqu'ils vantent (cf la radio BFM) la 'réussite chinoise' et veulent profiter des jeux pour 'faire des affaires' avec le Grand Marché chinois."
Les libéraux ou ceux qui se saississent de cette étiquette ?
Il n'y a pas de libéralisme en Chine. Car le libéralisme n'est pas uniquement une doctrine économique, mais avant tout une théorie du droit, laquelle se trouve avoir des implications économiques. Mais le droit concerne tous les aspects de la vie. Un véritable libéralisme ne saurait se limiter à la seule sphère économique.
Ce qu'il y a en Chine, c'est un capitalisme débridé. Certes obtenu par des mesures de libéralisation économique (et encore sont elles très imparfaites). Mais le résultat est une machine où les droits et libertés des travailleurs chinois sont sacrifiés sur l'autel de la réussite nationale et de la survie du parti. Les régulière bouffées de nationalisme ne sont guère étonnantes...
Ce que nous avons en Chine, c'est un système économique mis au service de l'Etat-parti... Or, un système authentiquement libéral ne serait au service du personne, et encore moins d'un Etat...
Rédigé par : Anton Wagner | 01 septembre 2006 à 12:57
Et puis, au passage, il n'est pas tout à fait vrai qu'aucune voix libérale ne s'élève : le dernier livre de Guy Sorman, "L'Année du coq : Chinois et rebels", ne masque pas les dessous du "modèle" chinois et n'est pas particulièrement laudateur à leur égard...
Rédigé par : Anton Wagner | 01 septembre 2006 à 13:22
Le débat sur le libéralisme me semble très intéressant et je reconnais que le terme "libéral" a de multiples sens, selon les temps comme les lieux.
Une note sur ce que j'entends par ce terme sera mise sur mon blog la semaine prochaine, pour dissiper les malentendus.
Merci à Anton Wagner de ses interventions sur ce thème, et à la semaine prochaine.
Rédigé par : J.-P. Chauvin | 02 septembre 2006 à 18:59
"le terme 'libéral' a de multiples sens, selon les temps comme les lieux"
Oui, hélas... Je dirais plutôt que le corpus libéral est pillé de toute part, ce qui fait qu'il a de multiples "sens". En outre, beaucoup de gens utilisent ce terme pour simplement désigner ce qu'ils haïssent, sans se demander si ce n'est pas un emploi abusif...
Rédigé par : Anton Wagner | 05 septembre 2006 à 14:32